Récits de voyage

L’escale

C’est étrange de se dire qu’en un instant, presque imperceptible dans le déroulement de nos départs, nous passons de nos vies ouvertes et quotidiennes, à un environnement clos, pour arriver ailleurs, confrontés à un autre nous, loin de ce que nous connaissons.

Bien sûr c’est une banalité de dire que les avions et les aéroports sont des lieux clos, et pourtant ce sont à travers eux que nous partons vers l’ailleurs et nous emmènent vers des mondes nouveaux.

Le contraste est saisissant entre l’immensité des aéroports, du ciel qui entoure la carlingue, et le silence dans les avions pendant les longs courriers, les téléphones qui ne vibrent plus faute de connexion…

L’impression que tout est fait, du moment du départ et nous tournons les clefs dans la porte de chez nous, jusqu’à l’arrivée à destination, pour nous isoler et nous préparer au changement, au voyage, à sa réalité et à ses révélations.

Comme si les infrastructures de voyage nous obligeaient à l’introspection.

Au milieu de la nuit dans l’immense avion endormi qui me portait en Asie, ce contraste entre la solitude, le silence, le fait d’être coupé du monde et justement l’idée que bientôt je serai immergée au milieu d’une ville bruyante, vivante… j’avais le sentiment d’une apnée qui durait des heures pour mieux m’éveiller à l’inconnu que j’allais rencontrer après ces heures dans des « non-lieux », dans des contre espace-temps où l’on ne compte plus le décalage horaire, où l’on ne sait jamais exactement où l’on est et si le « petit-déjeuner, repas du soir » délivré par la compagnie a un quelconque sens.

Les heures dans les aéroports, dans les avions, sont les prémices de ce qui nous attend. Déjà on frémit de curiosité, d’impatience, on est porté par les espoirs de découvertes et de rencontres. On ne peut qu’imaginer, nous préparer, compter les heures, attendre… Attendre que tout commence après cette latence dans le silence ou l’agitation, dans le confinement de l’immensité.

Avant que tout commence, que l’on se redécouvre, que l’on marche dans l’inconnu et qu’on sourît béat et un peu fatigué de ces heures de voyage.


Évaporation dans la magie birmane (1)

7 janvier 2017 : atterrissage à Mandalay, au Myanmar.  Le voyage commence : pendant deux semaines je serai sur les routes birmanes. Je ne connais rien de ce pays, seulement ce que j’en ai lu dans les livres, les guides, vu sur internet…

Je rêve de voir un lever de soleil sur Bagan et de me perdre dans les jardins flottants du lac Inle, mais de tout cela je ne connais rien, je n’ai que des fantasmes. Je n’ai jamais mis les pieds en Asie et je m’attends alors un vivre un choc des cultures incroyable.

Au rêve sur le point de se réaliser se mêle l’appréhension, presque le tract de l’inconnu qui chatouille le fond du ventre…

Récit de deux semaines sur les routes birmanes.

Mandalay et sa province :

D’abord, cette route immense, goudronnée, belle au milieu de la terre sèche. Il doit faire près de trente degrés, et dans le taxi que je partage avec d’autres touristes, j’essaie par la fenêtre de deviner qui est la Birmanie, (ou Myanmar). Je veux déceler des indices avant même d’être arrivée au cœur de la ville de Mandalay où commence mon voyage.

Le suspens ne durera pas longtemps…

Les débuts s’annoncent pourtant plein de défis, la langue, l’alphabet et donc la peur de ne pas se repérer facilement dans les rues, la nourriture, et puis l’Autre. Qui est le Birman ? Comment l’approcher, l’aborder ? Dès les premières minutes dans les rues de Mandalay, je me suis posé cette question parce que j’ai eu peur. Je dois l’avouer. Tous les birmans me regardaient, tous chuchotaient sur mon passage, beaucoup m’interpellaient, me souriaient, tentaient quelques mots dans un anglais approximatif…

Je ne savais pas comment réagir, je me sentais un peu perdue et étrangère. J’avais peur de ne pas bien faire, de les froisser, de ne pas trouver un moyen d’échanger…

Tout est nouveau, rien ne ressemble à ce que je peux connaître, j’ai l’impression d’être un enfant, entre émerveillement et interrogation. Tout est bruyant, coloré, différent…

Malgré tout, dès le lendemain matin, à 5h, alors que la nuit était encore noire, et que les femmes assises en tailleur dans leurs « longyis » colorés (habit local) installaient leurs récoltes de légumes, de fruits et d’épices devant elle sur la route, j’ai pris un bus local, une sorte de grand tuk-tuk, remplie de femmes qui buvaient leur thé au jasmin dans de petites poches en plastique en rejoignant les marchés à l’extérieur de la ville.

Je devais rejoindre Amarapura, une ancienne cité royale où se trouve le plus long pont en teck du monde et où les touristes aguerris vont admirer le lever du soleil.

Quand le soleil dort encore, il fait froid, humide… et alors que le chauffeur du « bus » me disait que c’était au coin de ces deux rues et du chemin de fer que je devais descendre pour rejoindre le pont, j’aurais pu de nouveau avoir peur de me perdre et me demander ce que je faisais dans une ville inconnue, seule en pleine nuit, loin très loin du premier point tourisme du pays !

Mais non, après avoir demandé quatre ou cinq fois mon chemin à travers de petites ruelles bordées de petites maisons spartiates où les birmans vivent nombreux et en famille se réveillaient doucement, se préparant au passage des moines.

Car si Amarapura est connu pour son pont elle l’est aussi pour ses monastères.

Et puis, enfin, encore, dans la pénombre j’aperçus la structure impressionnante du pont qui se dessinait sur le lac Taungthaman.

La traversée du pont a duré deux heures. Au long des 1,2 kilomètres, j’ai regardé le soleil se lever, j’ai vu la lumière rose tout illuminé, j’ai croisé des moines, des femmes qui venaient de l’autre rive, des marchandises sur leur tête m’ont souri timidement, des enfants couraient, quelques rares touristes prenaient des photos…

Arrivée de l’autre côté du pont, je ne me souviendrai pas du nom de ce village, mais je sais que c’est là que tout a changé.

Les craintes de la veille, l’appréhension de passer deux semaines dans un pays inconnu… comme si la magie birmane avait opéré dans la brume du matin qui flottait encore dans l’atmosphère. J’ai tourné mon visage vers le soleil pour me réchauffer, j’ai respiré ces odeurs que je ne connaissais pas, j’ai ré ouvert les yeux et j’ai vu toute la magie qui m’entourait. Les jeunes filles, sublimes avec leur thanaka (maquillage birman ainsi que protection solaire) sur les joues, les tout petits aux yeux ensommeillés sur les scooters de leurs pères qui les emmenaient à l’école, les femmes sur leurs vélos débordant de fleurs fraîches aux milles couleurs, les moines aux robes orange vif, les stupas d’or cachées parmi les arbres, et les rayons du soleil qui se frayaient difficilement un chemin au milieu de la végétation dense.

Que ce soit à Mandalay qui est une grande ville avec ses grands immeubles et ses enfants collés aux smartphones, où dans les villages alentours, plus reculés, plus pauvres, la même impression, le même constat : les birmans sont d’une gentillesse incroyable, curieux de se frotter aux touristes qui viennent jusqu’à chez eux, heureux de nous raconter leur histoire. Partout et à toute heure je me suis sentie en sécurité, entourée des Birmans toujours prêts à aider… les temples cachés à chaque coin de rue, dans les montagnes, dans les campagnes, apaisent et invitent à une certaine évasion dans l’ailleurs, les couleurs, les odeurs complètent parfaitement le tableau de ce pays qui m’était inconnu et que j’avais l’impression de connaître après seulement trois jours.

Je ne dirai pas que la Birmanie, le Myanmar, fut un coup de cœur mais plutôt une révélation. Tout m’a plu, m’a touché.

Après cinq jours à Mandalay et dans sa province, j’avais le cœur lourd de devoir repartir vers Bagan. Simplement parce que Mandalay avait été celle qui m’avait fait découvrir, aimer, la Birmanie, elle avait été ma première fois, je lui été redevable de m’avoir si bien accueillie pour repartir sereine, curieuse, heureuse vers le reste des trésors du pays.

Alors prochaine étape : la mystique et merveilleuse Bagan… !

Évaporation dans la magie birmane (2)

Bagan. J’y étais. Nous étions le 17 janvier 2017 et j’étais sur le point de voir un de mes rêves se réaliser.

Je ne sais pas très bien ce que j’imaginais, mais quand le minibus s’est arrêté sur la place en face du marché dans le quartier de Nyaung Oo de Bagan, rien ne pouvait laisser présager, que quelque part, tout près, se tenait un site mythique, abritant dans sa végétation, des centaines de temples.

Mais très vite, avec un peu d’attention, on comprend que ce quartier n’est qu’un quartier de passage, un lieu où les gens arrivent et qui rêvent déjà d’ailleurs. Un ailleurs tout proche, simplement caché. Des bureaux pour acheter des billets de bus, des loueurs de scooter et e-bike, des auberges, des restaurants… ici on accueille le voyageur, le back-packer, et on le prépare à ce qu’il va vivre. On le met en confiance avec de la nourriture un peu plus accessible, avec quelques saveurs occidentales, avec un wifi efficace, de l’eau chaude pour la douche et même des petits commerces à quelques mètres du traditionnel marché.

Alors, une fois installée, j’ai loué mon scooter électrique, et après des débuts plus que difficiles, (déjà pas très adroite sur un vélo !), un seul objectif : dormir pour être levée avant l’aube et trouver le chemin des temples.

« Au rond-point, la voie de droite et toujours tout droit, et puis vous choisissez n’importe quel temple pour voir le lever de soleil ». Bon comme ça, ça avait l’air facile…

En réalité, à 4h 30 en Birmanie il fait froid, très froid, et sur le scooter encore plus. Perdue dans la nuit sur une immense route, il est difficile de distinguer les temples et encore plus ceux desquels on pourra observer le lever de soleil, et alors les touristes se questionnent, se suivent, se perdent, reviennent sur leur pas…

Et puis tout à coup, le scooter ralentit, imperceptiblement au début et puis franchement à l’approche d’une pagode qui se réveillait à peine, deux moines faisant des étirements sur les marches.

Impossible de continuer. Alors gentiment, les birmans présents m’ont proposé d’appeler la femme qui m’avait loué le scooter. Dix minutes plus tard elle était là avec un engin rechargé à bloc. Mais déjà j’étais anxieuse à l’idée qu’il soit dejà trop tard pour admirer le lever du soleil et je ne savais toujours pas qu’elle était LA pagode depuis laquelle le spectacle valait le coup d’être vu !

Au détour d’une énième ruelle de sable bordé d’arbres secs, une femme en scooter elle aussi, une birmane levée aux aurores qui savaient que chaque matin les touristes se perdaient, m’a proposé de m’emmener au sommet d’une pagode pour admirer le spectacle, j’y serai presque seule, et le soleil n’allait vraiment pas tarder à se lever…

Je l’ai suivi et c‘est ainsi que quelques minutes plus tard je vivais mon premier lever de soleil sur Bagan, quasiment seule sur le toit d’une pagode à l’égard des centaines de touristes.

Minute par minute le soleil se hisse de derrière l’horizon, se faufile dans les nuages de brumes du matin, projette les ombres légères des pagodes devant moi… Et tout à coup dans la lumière orangée, les montgolfières s’envolent.

Une, deux, trois… puis une vingtaine au total viennent s’aligner à l’horizon dans la lumière sublime pour dresser le tableau onirique de Bagan. Bagan la merveilleuse, la sublime, la mystique, qui se donne en spectacle sous la lumière chaude du soleil qu’on croirait voir se coucher tant il est orangé.

En revenant sur mes pas, à la lumière du jour, et à la découverte des autres temples, je l’ai reconnu. La grande pagode depuis laquelle tous les touristes admiraient le lever et le coucher du soleil. Celle depuis laquelle tout le monde ramène LA photo mythique de Bagan.

Je repérai le chemin, et le soir même vers 16h je gravissais les marches à l’inclinaison effrayante, pour m’asseoir au troisième étage, face au soleil, le dos collé à la pierre chaude de la pagode majestueuse.

Alors que le soleil se couchait offrant de nouveau un spectacle sans pareil aux dizaines de touristes ébahis, je prenais déjà rendez-vous pour le lendemain matin. Rendez-vous avec cette pagode en réfléchissant depuis quel endroit j’aurais le plus beau point de vue, en disant au soleil que dans quelques heures, je le retrouverai.

A 5h30, avec des dizaines de touristes, je passai le contrôle à l’entrée de la pagode, nerveuse de ne pas être bien placée pour vivre ce moment. J’avais vu la veille le soleil se lever sur Bagan et pourtant j’avais l’impression que ce matin encore c’était une première fois.

Et tout fut différent. Fébrile, je regardai l’horizon. La lumière était plus pale que la veille, le soleil tardait à réellement se lever, on ne distinguait pas encore de ballons au loin, il faisait aussi plus froid que la veille, les pieds nus sur la pierre sacrée…

Le soleil se faisait désirer, et je tremblais, fébrile, inquiète de manquer ce rendez-vous… Et pourtant de nouveau la magie a opéré. Les premiers rayons enfin sont apparus à l’horizon, derrière une immense pagode carrée, ils ont baignés de leur faible lumière les épais nuages de brumes encore accrochés dans les branches des arbres, on a vu la crête des montagnes au loin se détachaient du noir du ciel…Bientôt il n’y eut plus qu’un très long nuage dans le ciel juste au-dessus du soleil qui s’est habillé de rose, et les montgolfières se sont élancées, une à une elles ont rempli le ciel de leur féérie.

C’était un de ces moments où tout est exactement à sa place, où la Nature et l’Homme ont pu s’entendre pour créer un moment de magie, un instant où rien d’autre n’existe que le présent, les odeurs, les lumières, la température changeant tout petit à petit, les respirations qui s’apaisent ou s’accélère devant le spectacle, la danse des ballons juste au-dessus des pagodes, ces œuvres des Hommes pour leurs dieux, et le soleil qui chaque matin vient bénir cet endroit préservé et où on peut encore rêver d’un monde de poésie, d’harmonie, de beauté, où l’Homme retrouve sa place au cœur de la Nature et de l’Histoire.

Voilà. Voilà ce que c’est Bagan : retrouver sa place au milieu d’un immense tout, où le rêve devient une réalité, une somme de petites choses qui, mises ensemble crée un instant de perfection qui donne envie de croire, de vivre, de sourire béatement, d’aimer, très fort, tout le monde… ça fait les gens se regarder dans les yeux et se dire dans des langues approximatives que c’est le plus beau lever de soleil qu’ils n’ont jamais vu.

Un lever de soleil. Un début de quelque chose. Comme si tout l’espoir de l’Humanité pouvait tenir dans ce simple moment, dans cette réalité du soleil qui se lève et que l’on lit comme une promesse. La promesse que demain il se lèvera encore, que de nouvelles choses sont à offrir, que tout peut commencer. Ici, ou plus loin, simplement parce que le soleil se lève.

Évaporation dans la magie birmane (3)

 » Là tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté « .

Si ce sont ces vers qui me viennent naturellement pour vous raconter le Lac Inle, le principal n’y est pas. Le principal, c’est l’équilibre.

A l’image de ces pêcheurs sur une jambe que l’on rencontre dès les premières minutes sur le lac, tout sur le lac semble tenir en équilibre. Tous les éléments se répondent, se complètement pour ne pas risquer que tout chavire.

Il est à peine 7h quand je monte dans la petite embarcation en bois dans le petit port encombré de Nyaung Shwe pour rejoindre le lac Inle, ses villages, ses jardins flottants, ses manufactures de soie, ses orfèvres, ses pêcheurs, ses pagodes…

Il fait encore froid au départ de cette journée… Mais très vite, à la sortie du canal, les paillettes du soleil levant qui scintillent nous projette sur l’immensité du lac : à perte de vue, de l’eau. Au loin, sur l’horizon, on devine un premier village, les montagnes qui nous bordent semblent délimiter notre angle de vue et nous dire :  » Regarde droit devant toi visiteur! Regarde l’ombre des pêcheurs sur une jambe qui se dessine, sois attentif aux bruits du marché flottant qui se dresse dans la premier village que tu visiteras, regarde le travail de ses orfèvres dans ces grandes maisons flottantes et bancales, admire le travail de ses tisseuses de soie qui fabriquent les habits traditionnels des habitants de la région, mêle toi aux centaines de visiteurs venus prier dans la grande pagode de Hpaung Daw U, apprend à jouer au « billard » birman avec ton guide dans un restaurant du lac, recueille toi avec les moines dans le monastère aux chats qui n’ont pas de l’eau de Nga Phe Chaung… Et rentre à Nyaung Shwe. Rentre émerveillée, éblouie, sans voix, de ce petit monde où « tout n’est ordre et beauté, luxe, calme et volupté ».

Et ce fut ainsi. L’espace d’une journée, j’eus l’impression que rien n’existait d’autre que l’instant que je vivais, que le voyage que je faisais sur le lac, mon futur ne se dévoilait qu’au fil de l’horizon. Chaque arrêt, dans un marché, une manufacture, chaque ralentissement dans les méandres des jardins flottants (malheureusement pas encore en fleurs), me dévoilait une nouvelle surprise inattendue.

Alors que je ne comprenais comment autant de vie pouvait tenir sur les flots d’un lac immense qui semblait coupé de tout, je me rendis compte, que le lac était TOUT. J’assistais à la vie parfaitement équilibrée d’un microcosme flottant.

Personne ici ne manquait de rien, et rien ne semblait pouvoir déranger la quiétude des lieux.

Cette journée, fut certainement l’un des moments les plus marquants de ce séjour en Asie. Je me sens reconnaissante d’avoir pu partager, seulement pendant quelques heures, certes, la vie de ces Birmans, de m’ouvrir à cette vie qu’il mène, de m’apaiser au milieu de l’immensité du lac sur l’île que forme un monastère..

Même si je m’y sentais tellement bien que j’aurais pu y rester des heures, des jours, des semaines, en rentrant vers Nyaung Shwe, j’étais heureuse, car c’était ainsi. Le visiteur, venait et repartait, ne changeant en rien l’équilibre de la vie millénaire sur le lac Inle.

Je rejoignais cette ville bruyante, agréable de Nyaung Shwe. Elle recueillait les visiteurs du lac pour une nuit ou deux. Elle abritait leurs rêves de découvertes, elle les préparait à l’expédition qu’ils allaient faire et les réconfortait de leur retour sur la terre ferme vers d’autres découvertes plus lointaines.

C’était ma dernière étape en Birmanie. Bientôt je serai au Laos. Je repartais avec la sensation d’avoir eu accès à quelque chose d’exceptionnel. J’avais vécu ne serait-ce que quelques heures au milieu d’un équilibre parfait. J’avais appris à découvrir, à aimer les Birmans, leur pays, leur spiritualité, leur sourire… mais pas encore leur cuisine!

J’avais prié pour que tout puisse rester encore préservé, que cette beauté reste intacte, comme dans un rêve, un paradis un peu mystique…

J’appréciais la chance que j’avais eu de réaliser un de mes rêves et d’avoir vu des paysages et des âmes si belles que j’avais le sentiment de détenir à présent un pouvoir un peu spéciale, une force surhumaine…


Par la fenêtre du train

J’ai toujours aimé les voyages en train. Ils sont pour moi des moments suspendus. Ils me donnent l’impression d’être sur des chemins de traverse, de voir par la fenêtre des paysages, des villes, des gares que personne ne voit comme je les vois de ma place.  Comme si, l’espace de quelques heures, de quelques minutes parfois, j’étais une privilégiée qui découvrait les secrets d’une France inconnue.

Je collectionne un nombre impressionnant de photographies de lever de soleil dans les trains. J’aime me dire que j’ai quitté une ville encore endormie, comme on quitte le lit d’un amant avant que le jour ne se lève, et que j’en rejoindrai une autre quand le soleil sera à son zénith.

J’ai un nombre impressionnant de souvenir dans les trains… je me souviens de l’annonce de la mort d’un proche alors que je rentrai de vacances, et de tous les vacanciers bronzés qui m’avait offert mouchoirs, goûters et réconfort sans que l’on ne se connaisse, je me souviens des TER qui longeaient la côte méditerranéenne pour me ramener ou m’éloigner de cet amour d’été, des RER de banlieue sales et bondés qui rythmaient les rencontres avec mon grand amour, je me souviens de cette discussion avec la dizaine de passagers de mon wagon quelques jours après les attentats de Paris, je me souviens de l’interminable voyage de Nice à Paris après mon premier match de foot au stade Louis II de Monaco…

Les TGV me ramènent en vacances, à ma famille, aux milliers de possibilités de me souvenir, de rêver, de me perdre sans culpabiliser dans les pages d’un roman… je crois que me souvenir presque exactement de quels romans accompagnaient mes principaux voyages en train. J’y ai commencé Khadra un été, j’y ai fini Rolin de vingt heures à minuit…

J’ai pesté contre les retards, et maudit la SNCF. J’ai détesté certains de mes voisins de voyage, j’ai haï la climatisation et les prises qui ne fonctionnent pas. Pourtant je ne cesse de bénir ces voyages, ces ambiances de gare, ces annonces qui grésillent, ces contrôleurs à l’accent du Sud… Ces retrouvailles d’amour cassées par les fauteuils, ces au revoir le cœur gros et les signes de mains par les fenêtres teintées…


Le soleil des 4.000 îles

J’étais assise sur la petite terrasse en bois de mon bungalow sur pilotis, et je regardais les enfants jouer dans le Mékong, juste en dessous de moi. Ils étaient très jeunes, et pourtant, tous savaient nager…  Ils vivaient sur l’une des centaines de petites îles perdues dans les méandres du Mékong au sud du Laos, et le fleuve ne leur faisait pas peur; il était leur ami, leur allié, leur vie.

Tout à coup, quelque chose d’imperceptible a changé. La lumière était différente. Jamais je n’avais vu quelque chose d’aussi fascinant : minute par minute on pouvait voir le paysage changer, les ombres s’étirer, les nuages prendre de nouvelles teintes…Il y avait quelque chose de très mouvementé, vivant dans ce coucher de soleil. J’était peut-être trop habituée à ceux que l’on regarde patiemment, évolué presque évidemment du brillant aveuglant du soleil, à l’orangé, au rouge qui brule le ciel une dernière fois avant de disparaitre…

Ici, le soleil derrière le pont Français, donnait vie aux palmiers, à l’eau, aux cabanes sur les rives, il allumait les musiques, les terrasses, les pontons de bois…

Il y avait partout du bleu, du violet, du rose, du rouge, de l’orange et puis le noir imperceptiblement prenait le dessus.


Mon Portugal intime

Nous étions à la fin du mois de juillet 2016 et je m’apprêtais à faire un voyage tout particulier. Celui sur les terres de mes grands-parents paternels. Dans ce pays que je ne connaissais pas, dont je ne savais presque rien.

Je savais seulement qu’il abritait les souvenirs d’enfance de mon père, ses rêves de gamin, les odeurs qui le rassuraient, les paysages qui l’apaisaient, la langue qu’il essayait de parler, les saveurs des étés en famille, la maison de mon grand-père, qu’il avait bâti en espérant voir ses petits-enfants y venir, nombreux, tous les étés.

Pourtant, c’est loin de ce pays que je les ai passé. C’est loin des souvenirs de mon père que j’ai construit les miens au son de  » Ah ça tu vois, ça me fait penser au Portugal ! » comme si finalement nous n’étions pas si loin.. cela me rassurait.

Et puis, quand en juillet je me suis joins à mes parents et à ma sœur pour partir sur les routes du Portugal qui nous mèneraient à un moment à mon grand-père et aux terres des souvenirs de mon père, j’ai eu l’impression de m’apprêter à découvrir une nouvelle partie de moi, de mon histoire.

Il y a quelque chose de rassurant dans le Portugal, je ne saurais dire si cela tient aux visages apaisés des Portugais, au linge qui sèche aux fenêtres, aux azulejos sur les murs qui prennent le soleil, à l’odeur du poisson dans les petites rues, au bruit de l’océan, aux pins, à la bière et au vin de Porto qui tiennent si bien compagnie sur les terrasses…

Je pourrais vous raconter ici Viseu, Aveiro, Porto, Lisbonne, Comporta, Nazaré, Obidos, Cascais, Setubal, Estoril, Coimbra… je vous raconterai alors les rues brûlantes qui reflètent la lumière du soleil sur les azulejos bleus, jaunes, verts, blancs…, les petits vieux aux fenêtres qui regardent l’agitation en bas, les bières en terrasse à toutes heures, les sourires, l’océan et sa lumière grise, ses vagues immenses, ces horizons tellement présents, ces églises partout, magnifiques, comme des refuges contre le bruit du monde, je raconterai les places des villages qui se remplissent le soir autour de quelques musiciens pour danser, je vous parlerai de ces pêcheurs, de ces gamins qui se jettent à l’eau, des cafés au lait pris sur les terrasses à deux pas des marchés, je parlerai des légumes et des fruits qui ont le gout du soleil, je ferai le portrait de ces petites vieilles en tenue de deuil qui vendent des tramous à deux pas des églises, je vous peindrai le linge qui sèche aux fenêtres, les mots d’amour écrits sur les murs, les guirlandes de fleurs, de papiers, de petits cœurs accrochés aux façades et les dessins sur les pavés noir et blanc des villes…Je vous dirai les regards estivaux échangés avec les beaux portugais, la poésie de Fernando Pessoa qui raconte si bien son pays, les airs de fado qui s’échappent de certains bars tard le soir…

Je vous dirai combien j’aime ce pays, ses ambiances, ses couleurs, son peuple et ses lumières.

Pourtant ici, je vais vous raconter le Portugal des étés de mon père, la maison de mon grand-père, les fêtes de villages, les pommes de pins et l’océan. Une semaine vécue avec mes yeux d’enfants qui s’émerveillent de chaque découverte, et avec mon cœur de femme qui s’est serré aux gouts du passé et de son histoire.

Je ne peux pas dire que je ne connaissais pas mon grand-père.Je l’avais déjà vu, ici en France de nombreuses fois, pourtant j’avais l’impression de ne pas le connaître, de ne pas savoir vraiment qui il était. Quand je l’ai vu nous ouvrir le portail de sa maison cet été là, j’ai compris. Je ne savais pas qui il était jusque là parce que je ne l’avais jamais vu .

La maison se trouvait dans une petite rue, qui constituait d’ailleurs à elle seule l’essentiel du village de mon grand-père. Toutes les maisons alentours étaient celles de cousins, plus ou moins éloignés… La grande route nous emmène à travers les pins et les eucalyptus jusqu’à l’océan, sur la gauche, à l’angle de trois routes on tombe sur l’église dont on voit le clocher du jardin… d’ailleurs, rien, nulle part, ne bloque l’horizon.

La maison est immense, inhabitée. Mon grand-père qui y vit seul a migré dans une plus petite dépendance. Il y a installé un lit dans la pièce du fond, une douche, une cheminée et une cuisine… sur son toit, il nourrit les pigeons  » Tiens Marion fais les moi grossir, je les mangerai cet hiver! « , en rigoler et comprendre quelques secondes après qu’il ne plaisantait pas. Et pour accompagner ses pigeons, il fait pousser au fond de son grand jardin séché par les chaleurs de l’été, des tomates, des oignons, des salades, des poivrons… Il n’a besoin de rien. Il vit avec quasiment rien.

Être à son contact ici, me ramène à ce que j’ai pu connaître lors de mes voyages au Brésil ou ailleurs : la notion de nécessaire.

Mon grand-père nous raconte qu’il fait son propre vin, qu’il fait quelques courses une fois par semaine, qu’il bricole sa voiture, une porte, le puits…il nous dit qu’en ce moment il est un peu triste car il n’a plus la force de prendre la route en vélo pour aller à la plage, qu’il se fatigue trop vite maintenant, il nous révèle que ce qui lui manque le plus en réalité, c’est de ne plus se perdre dans les odeurs d’eucalyptus sur le chemin… que la plage après tout…

Pour la première fois je crois, je le vois sourire, mon père lui ressemble beaucoup.

Le moment de la douche, le soir, après nos journées de visite, de plage, ou de repos dans le jardin, était un moment de réunion : mon grand-père prenait des pommes de pins qu’il avait été cherché dans le bois tout proche et faisait un feu dans sa petite cheminée, ainsi chauffait l’eau pour notre douche, on se relayait tous en riant, à peine sortis de la douche et sentant le pin grillé… Et puis mon grand-père, venait nous rejoindre à notre table du dîner pour partager en portugais parsemé de mots français quelques souvenirs d’enfance de mon père, des souvenirs de jeunesse…

Un après-midi nous sommes partis tous ensemble à la plage. En voiture… tant pis pour les odeurs d’eucalyptus, mais le voir avancer cahin-caha, sur les planches de bois qui traçaient le chemin du parking jusqu’à l’océan, valait bien ce petit sacrifice.

Il faisait froid ce jour là, l’océan était d’un gris de ciel… la plage est immense, le sable y est blanc et fin, les jours de soleil mon père me disait qu’il y avait beaucoup de monde quand ils étaient enfants…

Je garde cette image de ce jour-là : mon père et mon grand-père au loin devant nous, les pieds dans l’eau froide, le regard à l’horizon.

C’était étrange de passer ces quelques jours avec la sensation que tout n’était que découverte… je rencontrais mon grand-père, les cousins de mon père, j’allais le matin essayer de capter Internet au café de la ville d’à côté où avec mon père on buvait un café au lait dans un verre pendant que nous cherchions un vélo électrique pour mon grand-père…

Et puis un soir, avec le cousin de mon père, nous sommes tous allé danser. La gare du village voisin avait été réhabilitée en bar et sur le quai des dizaines de personnes étaient regroupées pour danser. Ici, seulement de la musique traditionnelle et la danse comme préliminaire, comme élément de rencontre. Ils étaient plus nombreux ceux qui dansaient que ceux commandant bières et autres alcools. La musique était enivrante, les corps si envoutants, tous dansaient si bien…Ici ce n’était pas seulement une affaire de divertissement, non il s’agissait d’un véritable rite de passage, ne jouez pas à chercher un « eye-contact » si vous n’êtes pas prête à assumer une danse! Pendant la danse ne parlez pas, tout ce que vous avez à dire de vous, à échanger, se fait avec les corps, à la façon dont ils se répondent, se comprennent, se laisse guider, ou non.

J’avais le sentiment d’être dans une société, dans un monde où tous les rapports étaient alors plus vrais… on ne peut pas mentir en dansant ensemble dans le noir au milieu d’une gare désertée au son de la musique traditionnelle.

Le mensonge. Il y a des tas de moments de la vie où l’on s’arrange avec la vérité, avec qui nous sommes, ce que nous voulons, parce que se dévoiler est effrayant, nous met en danger, parce que parfois simplement, nous ne savons pas, nous nous perdons dans le Tout, dans les Autres…

Pendant ces quelques jours chez mon grand-père, et plus largement au cours des trois semaines sur les routes du Portugal j’ai eu le sentiment que le mensonge était impossible.

Et puis il a fallu repartir. Nous avons pris des photos, plein. Tous ensemble. Nous avons promis de revenir vite… et puis le temps passe et on oublie les odeurs, les couleurs, les mots et les regards qui apaisent dans le tumulte du quotidien. Mais je sais que quelque part, sur une petite route du Portugal, non loin de l’océan et en bordure d’une forêt de pins se cache une part de moi, préservée et à l’abri.


Cambodge, O Merveilles!

Dernière étape du voyage. Après trois semaines passées en Birmanie et au Laos, j’avais l’impression, qu’ici au Cambodge, tout était plus facile.

Mon arrivée à Siem Reap, de nuit, m’est apparu complètement insensée : pour la première fois depuis longtemps, une ville, des routes modernes, des banques, des restaurants, des hôtels, des touristes par centaines… Et ces odeurs de nourriture!

J’étais déjà réconfortée des ces quelques jours plutôt décevant au Laos, où les arnaques et le rapport des locaux aux touristes avaient quelque peu ternis le voyage.

Du Cambodge, je ne connaissais presque rien, des bouts d’Histoire, et puis les temples d’Angkor. On dit que plus on connait quelqu’un moins on l’aime… avec le Cambodge ce fut l’inverse. Chaque jour, chaque heure même passés les rues de Siem Reap, dans les dédales des temples d’Angkor, sur les plages de Koh Rong et Koh Rong Samloem, sous la chaleur étouffante de Phnom Penh, dans l’étrange Sihanoukville, sur les flots du Tonlé Sap jusqu’à Battambang, j’ai aimé un peu plus le Cambodge, et son peuple accueillant, souriant, et d’une gentillesse sans borne…

Je m’y suis sentie bien. Tout était tellement cohérent, équilibré, beau…

Siem Reap, c’était le village de vacances, beaucoup de touristes, Pub Street et  Night Market. C’est une grande ville qui sert de repère à ceux qui vont visiter les temples d’Angkor à quelques kilomètres de là… et pourtant on y resterait bien, dans Siem Reap, on y mange bien à toutes heures, dans les rues, on y boit et on y fait la fête entre locaux et touristes de tous genres…

Tout près, il y a Angkor. C’est impossible à deviner, si on ne le sait pas. Le matin, très tôt, alors que le jour n’était pas encore levé, je suis montée dans un tuktuk. Il faisait froid et nuageux, je me doutais que pour la première fois du séjour je me levais pour un lever de soleil que je ne verrai pas…Je me suis pourtant assise au bord de ce lac de nymphéas au pied d’Angkor Wat et j’ai attendu. Petit à petit, je sentais la foule grossir derrière moi, j’entendais toutes les langues…Et puis, la lumière a changé, doucement, les nuages noirs sont devenus gris, d’un gris foncé, menaçant, et bientôt les gouttes de pluie ont dessiné des ronds à la surface du bassin devant moi. Je n’ai pas bougé, j’ai simplement continué d’observer un jour sans soleil se lever.

Je n’ai pas beaucoup de photos des temples d’Angkor, tout d’abord parce qu’avec le nombre de touriste qu’il y a il est très difficile de aire la photo que l’on souhaite et je ne voulais pas me frustrer et perdre du temps à faire des photos… ensuite, parce que même lorsque j’ai sorti mon appareil, je me suis rendu compte qu’aucune photographie que je prenais ne transmettait ce que je ressentais. Aucune ne montrait la grandeur du site, le travail de chaque pierre…

Je me suis sentie si minuscule… Au milieu de ces temples immenses, des frangipaniers hors d’âge à Ta Prohm, des centaines de visages de Bouddha sculptés dans les pierres de Bayon…

Si petite, face à la Foi des hommes, à la dévotion de ces moines, au poids de l’Histoire…

La journée à Angkor a été épuisante, comme si déambuler au milieu de ces temples avait été trop fort.

Ensuite, il y eu Battambang, une ville sans grand intérêt… mais ici, effectivement, c’est le voyage qui a compté et non la destination. Pour la première fois du voyage je n’étais pas en mesure de contrôler quoi que ce soit…et la traversée du Tonlé Sap fut épique, et cela vaudra bien un récit à lui tout seul..

A deux semaines du retour en France, il était temps de se reposer et de trouver un peu de calme sur les plages cambodgiennes sur les îles de Koh Rong et Koh Rong Samloem.

Jamais je n’avais vu de sable aussi blanc, de mer aussi turquoise, de végétation aussi dense, là toute proche… Jamais je n’aurais pu imaginer comment s’organiser la vie sur une île entre touristes et locaux avant d’avoir passer ces dix jours sur ces îles.

Si les paysages étaient d’une splendeur sans pareil, je me suis sentie très vite prise au piège. Dépendante du temps qu’il faisait, des bateaux… j’ai ressenti au plus profond de moi la problématique insulaire. Cette impression d’être une privilégiée dans un endroit protégé où tout le monde ne se risque pas, et l’envie de m’en échapper au risque de finir prisonnière de ce rythme nonchalant, du flot des vagues qui s’écrasent sur les rochers, de ces cambodgiens qui n’ont jamais rêvé plus loin que le bout de cet embarcadère qui les emmènerait vers bien trop de mystères.

Car ici tout est facile pour celui qui s’y plait. Il suffit de vivre. De se lever, de sourire, de se laisser aller à ce qu’apportera ou non la mer…

Et tout à coup : la ville. La capitale, Phnom Penh. Brûlante, bruyante, vivante, où il est impossible de se sentir prise au piège. J’étais en sécurité, de retour sur le continent, même au milieu d’une ville qui me semblait immense et que je ne connaissais pas.

L’architecture me plaisait, la vie dans la rue me happait, la chaleur humide me donnait envie de me prélasser, de me laisser aller à cette vie, loin, loin du quotidien, de la France, je m’imaginais vivre ici, au Cambodge…

Mais même à 10000 kilomètres, pendant plusieurs semaines, rien ne s’arrête. Le monde ne se met pas sur pause pour vous permettre de n’être totalement à ce que vous vivez…

Parfois sur les plages blanches de Koh Rong, là où seulement un bateau de 4 ou 5 touristes égarés se risque tous les deux jours, je me suis sentie pleinement dans l’instant. Mais le reste du temps, on se projette, on compare, on se dit qu’on aimerait bien ramener cet état d’esprit, ce sentiment dans nos bagages pour l’utiliser dans notre vie « de tous les jours ».

Voilà à quoi j’ai songé pendant ces derniers jours dans la capitale où déjà le retour me rattrapait, où la ville me faisait oublier que j’étais si loin de Paris.

Le retour, la vie « de tous les jours », les questions que l’on avait laissé en fermant les bagages et celles qu’on ramène pourtant…

C’est étrange, ce contraste. L’impression de fuir certaines questions en allant si loin, pour en réalité pouvoir les affronter à des milliers de kilomètres, ramener des enseignements, des réponses.

Et il y eut le dernier tuktuk. Celui qui a quitté Phnom Penh où la nuit était déjà tombée. Le Cambodgien qui nous a conduit à l’aéroport était souriant, doux et tellement gentil… ses questions, ses attentions, le selfie avec lui devant le Terminal… Je me suis soudain sentie débordée. par l’émotion, par la conscience que je quittais ce continent sur lequel je n’avais passé que sept semaines et qui pourtant m’avait tant plu, tant apporté. J’éprouvais une immense gratitude. Pour les gens, pour ma famille, pour la vie… Pour tout ce qui me permettait d’avoir fait ce voyage.

Je mesurais la chance que j’avais d’avoir vu toutes ces merveilles, d’avoir fait de si belles rencontres. Je me gratifiais d’avoir eu ce courage de partir.

J’ai promis que je reviendrai au Cambodge.

Quatre mois plus tard, je garde toujours cette envie de repartir, ce souvenir intact et vivace de celui que l’on est, loin de nous, les images et la force de ces sourires, de leur foi, de leur détachement.


Ah! L’aventure!

Je suis quelqu’un de plutôt très organisé et j’aime savoir que j’ai une certaine maîtrise sur les choses. J’aime faire des listes, des fiches, des itinéraires tracés, je range mes livres par catégories et ensuite par ordre alphabétique, j’ai des pochettes de couleur différentes pour mes papiers, mes collants sont rangés en ligne et en fonction de leur motif, mon dressing est organisé en fonction des pièces et des couleurs, je prends toujours de l’avance quand je dois aller quelque part, je vérifie le contenu de mon sac à main comme s’il s’agissait encore de mon cartable d’autrefois… Bref, je suis organisée (ce qui n’a rien à voir avec névrosée).

J’aime que les choses soient à leur place et que si l’on ne peut pas savoir à quoi s’attendre, qu’on puisse au moins réagir efficacement à toutes les situations.

En road trip, la part de moi qui a besoin de se rassurer… est mise à mal! Tout n’est qu’inconnu, imprévu, et le pire dans tout cela c’est que c’est tant mieux. (J’avais quand même dans mon sac des cartes papiers des pays traversés et des guides complets, et…un couteau…juste au cas où).

Sortir de sa zone de confort. Il se dit que c’est là que notre vie commence, quand nous arrêtons de nous cacher derrière ce que l’on connaît, derrière nos schémas, nos peurs…Alors je ne dis pas que j’y arrive dans mon quotidien, mais… en roadtrip en Asie, ma zone de confort a explosée!

Prendre un bus dans une ville inconnue à 4h du matin, manger sans savoir ce que c’est, passer 30 heures dans un aéroport, parler à des inconnus et les suivre, arriver dans une ville déserte dont je ne connais rien en pleine nuit, prendre des bus sans savoir exactement quelle est leur destination…et prendre une bateau, assise sur le toit, sans savoir (même si je m’en doutais fortement) s’il y aurait assez d’eau sur le Tonlé Sap pour arriver à ma destination.

C’est ce voyage sur le Tonlé Sap que je voudrais vous raconter. Je voudrais vous raconter que la magie, la beauté, les choses qui font sourire et gonfler la poitrine comme si tout à coup notre coeur avait besoin de plus de place, sont parfois (souvent en fait) dans les choses les plus simples, dans les surprises, dans les moments où l’on accepte que l’on ne pourra pas tout contrôler, où l’on se rend à la vie.

Siem Reap-Battambang, comme ça, ça a l’air simple. Un tuktuk vous récupère dans Siem Reap, vous amène à un embarcadère au milieu de nulle part après avoir longé des plantations de nymphéas sublimes, vous montez dans un bateau et six heures plus tard vous arrivez à l’embarcadère de Battambang. En réalité, à partir du moment où vous arrivez à l’embarcadère de Siem Reap, plus rien n’est évident.

Le bateau dans lequel je devais monter était déjà plein. Alors c’est avec une simplicité extrême que l’on m’a proposé de monter sur le toit. J’avais de quoi me protéger du soleil, je me suis dit que j’aurais un peu plus d’air qu’à l’étage de dessous alors j’ai accepté. Le dos calé contre les sacs des voyageurs, les jambes étendues au soleil, il ne restait plus qu’à partir.

Déjà, sortir de l’emplacement s’est avéré dangereux, mouvementé, et assis sur le toit, cela prend tout de suite une dimension inquiétante quand le bateau tangue.

Et puis pendant plus d’une heure le bateau a filé au milieu du Tonlé sap sans que nous rencontrions quoi que ce soit dans notre horizon. Le ciel était d’un bleu qui faisait presque mal aux yeux, la chaleur commençait à se faire sentir, et rien n’accrochait notre regard, pas une habitation, pas un oiseau, pas de végétation…

Après plus d’une heure de trajet, quelque chose s’est dessiné au loin : des habitations. Le bateau allait traversé le premier village flottant de notre traversée sur le Tonlé Sap. C’était absolument merveilleux, de voir cette vie, cette agitation, ces maisons flottantes, ces chats allongés sur les pontons dont on se demandait comment ils avaient pu arriver là… les plus petits enfants, nus, portaient parfois pourtant un gilet de sauvetage.

Au milieu de jardins de nénuphars sans fleur la vie flottait paisiblement.

Et pendant six heures encore nous avons traversé des villages plus ou moins riches, croisé des pêcheurs, salué des femmes qui faisaient leur lessive, souri aux enfants nus sur le bord des maisons.

La chaleur était maintenant insupportable. Le bateau arrivait de moins en moins à négocier ses trajectoires tant l’eau manquait. On entendait l’hélice toucher le fond sableux du fleuve à certains endroits. Le bateau tanguait alors dangereusement, et les plaisanteries des voyageurs avaient laissé place à un silence moins rassurant.

Après une chute dans le fleuve de notre « capitaine » qui essayait de remettre le bateau dans sa trajectoire (les racines des arbres sur la rive n’étant pas du tout notre trajectoire…) il a laissé notre embarcation s’échouer sur la rive et nous a dit de descendre.

A ce moment là. Nous ne savions, ni où nous étions, ni pourquoi nous devions descendre, si nous rejoindrions un jour Battambang…

Trois pick-up sont arrivés dans un nuage de poussière. La suite du voyage se précisait : les passagers du bateau allaient maintenant monter à l’arrière de ces pick-up pour finir le voyage et arriver avant la nuit à Battambang.

Alors je suis montée, le conducteur, un Cambodgien édenté et le visage tanné par le soleil m’a tendu une cannette bien fraîche de RedBull, je ne l’ai pas bu mais je m’en suis servi pour me rafraîchir. Il a du se dire que les Occidentaux étaient quand même des gens spéciaux.

Les deux heures passées assises sur la tranche de la benne du pickup sur des routes défoncées, toutes en terre rouge, bordées par des arbres dont les branches venaient nous fouetter, sont les deux heures les plus merveilleuses de tout mon voyage. J’avais mal aux fesses, j’avais soif, je ne savais pas où j’allais ni quand j’y arriverai… Et tout cela n’avait aucune importance.

Le long de cette route qui longe le Tonlé Sap, on trouve des champs, immenses, bien irrigués, et des habitations, sommaires et sublimes. La lumière est incroyable, filtrée par les grandes feuilles des palmiers, et se décomposant dans les milliers de particules de poussière rousse dans l’air.

Et sur notre chemin, au passage des pick-up, les enfants d’abord, et puis les parents plus timidement, se précipitaient sur le bord de la route, ils criaient, riaient aux éclats quand on répondait à leurs « coucou »…

J’avais l’impression d’être privilégiée, de voir la vie sur la rive quand les autres voyageurs ne peuvent le deviner quand ils finissent le voyage sur le bateau.

Je me souviens et je garde un souvenir si fort des sourires des enfants, de la naïveté, de la facilité à laquelle ils se jettent à l’inconnu, lui sourient, l’accueillent…

J’avais de la poussière partout, ça craquait même sous mes dents, à force de sourire j’avais aussi de la terre sur les dents, mes cheveux s’étaient emmêlés dans le vent…

Et puis il y eu cette femme, elle semblait si vieille, si fragile. Elle n’accompagnait pas ses petits ou arrière petits-enfants.. Non elle était là, seule, debout, droite, sublime dans son habit traditionnel, et elle a souri.

Tout à coup elle n’avait plus 80, 90 ans… Non elle avait six ans. La joie naïve de ces enfants se lisait sur son visage, elle a agité sa main pour nous saluer et son sourire s’est encore agrandi, ses yeux se sont arrondis d’une surprise mêlée de plaisir, quand nous lui avons répondu.

J’aurais eu envie d’arrêter le pick-up. De sauter au sol et de la serrer contre moi. Je l’aurais embrassé et je l’aurais remercié.

« Merci de sourire ainsi, merci de rendre de si petites choses aussi belles, merci de trouver un plaisir enfantin dans le presque rien. Merci d’être aussi belle. »

Encore aujourd’hui, à ce souvenir, j’ai les larmes au bord des yeux.

Je suis arrivée à Battambang à la tombée du jour, fatiguée, cassée par la position inconfortable que j’avais tenu durant tout le trajet en pick-up. Et j’étais bien. Rien d’autre ne comptait que cette surprise, cet imprévu, où j’avais laissé gérer la vie, où je n’avais rien pu faire… que vivre.


Ma première fois

Jeune, j’ai eu la chance que mes parents me fassent voyager. Il y eut aussi les vacances, les week end en amoureux ou avec les amis…

Et puis il y eut le premier voyage seule. Les heures d’avion, d’escale, les passages de douane, l’attente des bagages…

L’angoisse absolu du vide entre le continent que je quittais et celui que j’allais rejoindre.

J’ai atterri de nuit à Fortaleza, grande ville du Ceara, province du nord-est du Brésil. J’ai vu la noirceur de l’océan par mon hublot et les lumières de la ville.

Si j’arrivais en terre inconnue je n’étais pas complètement seule puisque je retrouvais, je rencontrais même mon oncle, ma tante et leurs deux fils. Grâce à eux, j’ai pu vivre en immersion totale, et me confronter à la réalité de la vie au Brésil, j’ai fait et vu des choses que je n’aurais certainement pas pu faire en y étant seule. Pendant trois mois, je fus brésilienne.

J’ai adapté mon rythme, j’ai mangé et bu local, je me suis mise au sport et à la sieste, je me suis fait faire des brushings et des manucures, j’ai appris les brésilien mais n’ai jamais réussi à danser comme eux, j’ai crié devant des matchs de foot en buvant de la bière « bem gelada », j’ai rencontré des pêcheurs qui partent au soleil levant et j’ai applaudi le soleil couchant, j’ai remercié la nature avec des Indiens, et j’ai fait des dizaines, des centaines de « abraços »….

J’étais à l’affût de tout ce que je pouvais apprendre, sur le pays, sur les autres, sur moi. J’étais curieuse de tout, j’avais une envie totale de m’immerger dans cette culture, ce pays, cette parenthèse de trois mois. Je ne me sentais pas comme en vacances, mais plutôt comme dans un stage d’apprentissage de la vie. Je ressentais que quelque chose se jouait ici et maintenant dans ma construction.

Je voulais rentrer en France en rapportant un maximum de choses, une espèce de colonisation de ma vie par ce voyage, cette culture, ces gens et leur manière de vivre, de voir et d’appréhender les choses.

J’avais toujours été très sensible mais là-bas, j’ai réellement eu l’impression d’être une éponge, capable d’absorber tout ce qui se jouait autour de moi.

Ce que je ressentais de façon absolue, à ce moment là et qui dura pendant les trois mois de mon voyage : ce fut le sentiment de liberté. Liberté de faire, d’être, de dire, de ressentir, de devenir…

Loin de tout ce que je connaissais et qui m’avait façonnée jusqu’à maintenant je pouvais exister. Je pouvais sortir des rôles imposées, plus rien ne m’obligeait à être ce que l’on attendait de moi car personne ne me regardait.

J’étais seule et c’était enivrant. Je pouvais être absolument tout ce que je voulais, je pouvais choisir.

J’étais ouverte à tout ce que le monde, le Brésil, les Brésiliens, la Nature, les couleurs, les odeurs, les bruits, pouvaient m’offrir.

Dans l’immensité de ce pays, dans l’immensité du vide qui m’entourait, je n’avais plus peur.

Je me rendais compte de la chance que j’avais d’être (re)mise à ma place. Loin de mon quotidien, de mes attentes, de mes déceptions, ouverte à tout ce qui m’était proposé, je me remettais et remettais absolument tout dans un tout bien plus grand. Chaque minute était un apprentissage, chaque moment m’offrait un nouveau regard sur les choses, sur les possibilités de vivre, sur les combats à mener, sur les priorités à avoir, sur un certain ordre des choses…

Cette première fois, ce premier voyage seule, si loin de tout ce que je connaissais ou croyais connaitre a permis de me découvrir de savoir exactement qui je pouvais être, quelles ressources je possédais au fond de moi. Il m’a confronté au monde, à d’autres vérités, à d’autres histoires…

Et comment ne pas avoir envie de rentrer? Riche de tout cela, de repartir aussi? De toujours se remettre en question, en place, de se confronter éternellement aux autres et aux milliers de possibles…

Le Brésil m’avait ouvert l’appétit, j’avais envie de tout voir, de tout connaitre, de me frotter à tous les peuples, toutes les histoires, tous les paysages, de voir le soleil se lever en Asie et le regarder se coucher en Amérique…


Rencontres du bout du monde (1)

Il y a ce que l’on peut prévoir : les dates du voyage, la destination, le parcours.. et le reste. Ce qui va nous échapper si l’on accepte de se laisser totalement aller. Si l’on s’accorde de rendre les sourires, de tenter de communiquer avec quelques mots et beaucoup de gestes, si l’on fait confiance en un regard, si l’on pousse les portes, si l’on prend les bus sans connaître la destination…

C’était le Brésil. C’était Morro Branco et ses dunes de sable coloré. Je me souviens avoir grimpé cette immense dune par une chaleur à peine soutenable, avoir longé l’océan sous l’orage qui avait éclaté, et qui révélait les mille couleurs de ce sable exceptionnel qui piquait la curiosité des touristes.

Après m’être arrêter comme beaucoup sous des cascades semblant venir de nulle part au milieu de cette plage immense, je suis repartie. Il me semblait que je savais déjà que je ne repartirai pas simplement par là où j’étais venu.

Je suis allée tout droit à cette cabane bien plus loin sur cette plage.

Cette cabane en réalité en cache plusieurs… il semblerait que je vienne de pénétrer dans un espace dédié aux soins, ici tout n’est que bienveillance et au bruit des guirlandes de coquillages qui s’agitent au vent, je m’aventure jusqu’à la plus grande hutte. Je traduis que je suis à la Case des Indiens.  Ici, on masse, on écoute, on parle, on chante, on prie, on se sert dans les bras et on va mieux. Même quand nous pensons allez bien.

Des Indiens Pataxo sont là.

Dans cette grande hutte de bois et de paille ils préparent une séance de réflexion. Une quinzaine de personnes a déjà pris place sur des tapis en mousse au centre de la pièce.

L’Indien qui dirige la séance est magnifique. Il s’appelle Ubiraci. Impossible de lui donner un âge derrière les peintures sur son visage. Il porte un pagne, une ceinture de perles, une autre de serpent. Autour de sa taille, qui pend sur sa hanche gauche, il me semble deviner le pelage d’un félin. Des bracelets de plumes aux couleurs vives ornent ses poignets et ses chevilles.

Une couronne de plumes bleues magnifie le tout. Oui une couronne de plume.

Je me retrouve inclus dans le cercle. Que tous les sceptiques passent leur chemin. Moi-même je me suis demandée si je venais d’entrer dans une secte.

Il y a un couple de Français, je me mets à côté d’eux et de la traductrice. Une femme au profil européen qui parle un français et un portugais parfaits. Elle porte des plumes jaunes et vertes dans ses cheveux châtains, coupés au carré. Elle a l’air douce et parfaitement à l’aise avec les Indiens, comme si elle faisait partie intégrante de la tribu.

Ubiraci se présente et introduit un des membres du cercle. Il s’appelle Ricardo et est maître yoga (rien à voir avec Star Wars), (je vous détends maintenant parce que ce qui va suivre peut mettre mal à l’aise).

Il lui propose de partager son savoir avant que les Indiens ne commencent. Ricardo accepte, ému.

Il parle de la santé. Il explique d’une voix calme que la santé dans nos sociétés occidentales correspond à l’absence de maladie. Pourtant, la santé n’est pas seulement physique. Elle existe quand les pensées, les émotions, et le corps sont en accord. Pour appuyer ses propos il cite l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé). Il cite un philosophe américain dont j’ai oublié le nom pour illustrer son idée. Ce sont les pensées qui rendent malades. Elles nous éloignent de qui nous sommes et donc de chez nous. Il nous faut donc retourner chez nous, en nous, pour nous soigner.

Nous ne sommes jamais seul si nous sommes avec nous. Encore faut-il savoir se trouver et ne pas avoir peur de ses pensées. Déjà, chacun est renvoyé à sa propre situation. On n’entend que le bruit lointain de l’océan, le cliquetis des coquillages. En quelques phrases, chacun est rentré en soi, se questionner, se demander si effectivement nous somme en accord avec nous-mêmes ou tout simplement ce que nous faisons la… quelle brèche dans nos certitudes occidentales nous venons d’ouvrir.

Ricardo nous demande de nous mettre face à une des personnes de la salle que nous ne connaissons pas.

Je me retrouve face à Gérard, un Vosgiens qui doit avoir autour des 50 ans. Il a l’air de ne pas très bien savoir ce qu’il fait ici, je soupçonne sa femme de l’y avoir trainé. J’appréhende un peu la suite de l’exercice face à cet inconnu des Vosges, dans une cabane d’Indiens sur une plage du Brésil.

Le meneur de jeu, Ricardo, nous demande de nous regarder droit dans les yeux, de ne pas fuir le regard. De prendre la mesure de notre existence grâce à ce regard posé sur nous. Malgré moi je pense à Sartre.

Très vite pourtant je suis ramené à la réalité présente. Je dois sentir mon corps grâce à mes pieds nus ancrés dans le sol. Je n’ai pas l’habitude de regarder les gens dans les yeux. Je suis particulièrement mal à l’aise, mais je continue. J’oublie peu à peu que c’est Gérard que j’ai en face de moi. Il est l’objet, tout comme moi, d’un tout qui nous dépasse. Qui dépasse, cette salle, cette plage, cette ville, cet état, ce pays, ce continent…

Nous ne sommes plus dans le présent, nous pensons au passé, nous envisageons le futur, nous sommes tout sur cette échelle du temps.

Nous devons joindre nos mains, la droite avec la droite, la gauche avec la gauche et nous laissez porter par l’évidence que nous ne serons plus jamais seul si nous savons nous souvenir que nous faisons partie de ce tout qui nous dépasse. Quoiqu’il arrive.

Nous sentons tous que l’exercice est bientôt fini, il y a comme un frisson dans la salle. Comme si nous nous étions attachés à notre partenaire de façon définitive, que nous avions à présent besoin de l’autre. Ricardo nous demande de faire trois vœux.

Le premier est de nous souhaiter à nous-mêmes la santé. Le second, de la souhaiter à la personne qui se tient face à nous. Le troisième vœu de santé ou de guérison est pour une personne qui n’est pas ici avec nous. Les yeux de certains se remplissent de larmes. Ils expliqueront après l’exercice que d’avoir ressenti la possibilité de soigner quelqu’un qu’ils aimaient par cette force développée grâce à tous, les avait émus.

Ricardo clos l’exercice, heureux de son petit effet.  Déjà les croyances, les armures, les costumes de touristes se disloquent.

C’est à Ubiraci de reprendre la tête du groupe. Je suis déjà ailleurs. Je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est, ni de tout ce qui peut être en train de se passer au delà de cette cabane.

Après un moment à échanger notre ressenti, nous nous remettons par deux. Nous sommes assis l’un en face de l’autre. Les mains ouvertes vers le plafond, celles de Gérard posées sur les miennes, son regard planté dans le mien il répète les mots d’Ubiraci : « Qui es-tu Marion? Es-tu ce que tu es, ou es-tu ce que les autres veulent que tu sois? D’où vient ta force Marion? ».

Je m’allonge, un bandeau sur les yeux. Sur les rythmes de musiques indiennes et avec la voix d’Ubiraci, je dois recevoir les caresses et les gestes tendres de mon partenaire. C’est troublant. Seulement un temps.

Ubiraci me fait oublier que c’est un inconnu qui me procure ces gestes de « soins » : « Qui n’avons nous pas su câliner quand il en avait besoin? Parfois les mots sont inefficaces. Il faut simplement savoir sourire et prendre la personne qui souffre dans ses bras. Pardonnez à ceux qui n’ont pas su vous câliner ».

Ubiraci s’approche des personnes allongées, leur entrouvre les lèvres pour y déposer un miel sucré et doux. « Le miel de la vie car comme elle il a de la saveur« .

Au moment de partir, je me dis que cette rencontre m’a apporté des réponses, et du réconfort. Alors pour prolonger l’instant, rendez-vous est pris pour le soir se retrouver autour d’un feu sur la plage.

Il fait nuit noire, on distingue incroyablement bien les étoiles. Nous ne sommes qu’une dizaine cette fois autour du feu. Ubiraci a troqué son pagne et sa ceinture de serpent pour un tee-shirt et un short. Il a gardé sa couronne de plumes.

Assis en cercle nous partageons un jus d’écorce d’ananas et de menthe. Je ne pensais même pas cela possible de faire une jus avec de l’écorce d’ananas..

Chacun raconte une anecdote de son enfance, de son passé. Puis nous nous levons, une vieille indienne Zirma, qui ressemble très fortement à Grand-Mère Feuillage dans Pocahontas (merci pour les références), attrape ma main. Je sens ses os sous sa peu si fine.

Elle a le regard malicieux de ceux qui savent des choses que tout le monde ignore. Elle entonne un chant indien, Ubiraci prend la suite pour une sorte de prière pour remercier la Terre de ce qu’elle nous donne et pour lui donner la force de nous survivre.

Je fais partie d’un tout, autour de ce feu, avec les indiens je remercie la Terre et me souviens des gestes d’amour de ce matin si difficile à donner et à recevoir. Je me souviens de la simplicité de dire les choses qui nous pèsent, de comprendre que nous ne sommes pas seuls… J’espérais garder longtemps en moi le souvenir de cette simplicité, loin des codes, des mystères, des peines de France et du monde occidental qui ne savait plus écouter, regarder et dire les choses.

Ce récit, je ne m’attends pas à ce que tout le monde comprenne. Si on me l’avait raconté je n’aurais peut-être pas compris. Mais ces instants m’ont poussé vers l’essentiel. J’ai volontairement utilisé la forme passive pour cette phrase. J’étais là, et ces idées et ce sentiment de bien-être et de simplicité venait à moi et rendait certaines choses beaucoup plus claires à mes yeux.

Visiter un pays, se confronter à sa culture, à son rythme, son histoire. Et puis aux autres. A ces Indiens Pataxo qui veulent partager. Mélanger. Confronter oui, leur cultures, leurs croyances, leurs enseignements pour que, peut-être quelqu’un, quelques uns même, puisse imaginer autre chose que leur quotidien, que leur histoire. Cette rencontre est le fruit du hasard. Toute cette journée passée à ressentir, à vivre autre chose que ce que je croyais possible est une parfaite illustration de ce pourquoi j’aime voyager. Cela donne du sens. Cela donne du sens à l’instant. Peut-être que ce que j’ai ressenti cette journée là face à ces gens, face aux Indiens, n’a rien changé à mon quotidien une fois rentrée en France. Mais pendant quelques heures, quelque chose de Vrai a existé. Il y avait du sens et de la vérité.

Beaucoup de gens veulent voyager pour ramener la photo qu’il faut, pour pouvoir dire j’y ai été. Je voudrais dire en rentrant de mes voyages  » j’ai rencontré et j’ai vécu ».

Voyages : Rencontres du bout du monde (2)

J’hésite au moment d’écrire ces lignes sur l’île de Marajo. Je voudrais garder cette découverte secrète tant elle était belle.

Sur cette île, ma rencontre était celle d’un autre espace temps. D’un autre monde. Un monde sans heure, sans espace au-delà.

Il est pratiquement impossible depuis la France de planifier son voyage jusqu’à Soure, la capitale de l’île.

Marajo est la plus grande île fluviale du monde. La nature y encore préservée, les touristes n’ont pas encore pris d’assaut les grandes plages de sable blanc. On entend souvent dire  » c’est un véritable bout de paradis « , je n’aime pas vraiment cette expression, pourtant elle semble parfaitement s’adapter à cet endroit. Si le paradis a été partagé en petits morceaux disséminés sur Terre, alors l’île de Marajo serait l’un d’entre eux.

Pendant 48 heures je n’ai pas regardé l’heure, le réseau était indisponible et je n’ai pas cherché à le récupérer. Je n’avais besoin de rien, j’avais déjà la chance d’observer et de faire partie, pendant deux jours, de cet endroit magnifique.

Après trois heures de traversée depuis Belém, le bateau arrive à Camara. Ce n’est pas un port, simplement une avancée de terre où il est possible d’arrêter notre embarcation. Il pleut des trombes d’eau, il est 10 heures et la visite de l’île me semble compromise. Pourtant je me trompe. Dehors, les habitants sont en vélos, traversent les rues inondées, indifférents à la pluie. De Camara je rejoins Salvaterra en voiture. Une heure sur la seule route goudronnée qui traverse une nature dense et riche. La pluie a une odeur. Une odeur apaisante qui mêle les parfums des arbres verts et de la terre rouge.

Les habitations que je croise donnent l’impression que leurs propriétaires n’ont pas voulu troubler la nature. Certaines sont en bois, en bambou, les toits sont parfois faits de paille. Les poules, les canards, les chats et les chiens cohabitent avec les buffles et les chevaux en liberté…

Contrairement au reste du Brésil où le nombre de voiture par habitant ne cesse d’augmenter, ici les Marajoense se déplacent principalement en vélo. Nul besoin de signe de richesse extérieure.

Elle est ailleurs.

A Salvaterra, une nouvelle embarcation attend. Direction Soure, capitale de l’île. Je ne m’attends pas à une grande ville. En vérité je ne m’attends à rien, et la pluie est tellement forte que je ne distingue pas la rive. Je n’ai aucune idée de ce qu’il m’attend.

Cette fois plus de route goudronnée. Un quadrillage de grande rue de terre, des arbres au milieu et des chiens qui dorment en travers malgré la pluie battante.

Après avoir demandé à trois ou quatre personnes différentes l’adresse exacte (ne cherchez pas les numéros de rues… il faut simplement se fier aux habitants) j’arrive à la pousada où j’ai réservé pour la nuit. C’est un Français qui la tient, alors je me sens un peu comme à la maison. L’endroit ne dénote pas de l’ambiance de l’île, du bois, des pierres brutes, des objets d’artisanat local.

La pluie tombe toujours, mais Dominique prévoit que le temps va s’ouvrir. En attendant, autant aller déjeuner. De la viande de buffle recouverte d’une tranche de fromage du même animal. Un régal. C’est à ce moment là je crois que ça a basculé.. je ne savais que très approximativement où je me trouvais, je ne savais pas l’heure qu’il était, la météo ne permettait pas de savoir à quel moment de la journée je me trouvais ni ce que j’allais pouvoir faire ensuite. Simplement j’étais là. Je mangeais parce que j’avais faim, et attendait en regardant autour de moi sans penser à rien que la pluie cesse.

Comme l’avait prédit Dominique, la pluie a cessé. J’ai pris une voiture jusqu’à rejoindre un espèce de ranch, perdu dans la nature.

Il faut se rendre à la fazenda San Jeronimo, au milieu de nulle part, au bout de la route. La maîtresse de maison accueille des groupes de touristes jusqu’à 5 fois par jour. Toujours avec le sourire. Elle annonce le programme. Balade en buffle, marche sur un « pont » à travers la mangrove, une forêt de racines dans un marécage où l’on attrape de délicieux crabes, puis le retour en pirogue sur les canaux. Pourtant, aujourd’hui je ne vois aucun touriste. Je suis seule. Assise sur une vieille chaise en rotin j’attends le buffle et mon guide. Il y a un sublime Ara à l’entrée. il ne bouge pas. Son plumage bleu est hypnotisant.

Mon guide arrive, un vieil homme du genre taiseux qui doit préférer la compagnie des buffles plutôt que celle des touristes. Sans instruction particulière il nous fait grimper sur les buffles. Leur couleur noire est impressionnante d’intensité. Ils ont les yeux doux des vaches normandes, pourtant j’hésite à m’approcher de leurs cornes. La bête a le dos pointu, impossible de rester stable. Mais elle connaît le chemin, nul besoin de la diriger. Il suffit de profiter de la balade, des arbres qui peu à peu se referment sur nous, des papillons bleus aux immenses ailes… et tout d’un coup, un bruit qui vient du fond de la forêt. Un bruit qui donne des frissons, comme les courant d’air dans les films d’horreurs. c’est le cri d’un singe hurleur. On pourrait croire qu’ils sont plusieurs mais il est seul, son cri se rapproche de plus en plus, je scrute les arbres, mais il est bien caché. Mieux que ses cousins les petits macaques plutôt curieux qui viennent à notre rencontre sans pour autant jamais quitter leurs branches. A ce moment là, la lumière est sublime, celle du soleil qui tente de faire sa place au milieu des nuages qui n’ont pas fini leur travail. Dans le ciel se joue une lutte acharnée entre les rayons lumineux et la noirceur de l’orage qui menace.

Les singes sont partout, les papillons, les oiseaux sont chez eux, les buffles silencieux tentent de se frayer un chemin entre les arbres immenses, les branches, les racines, les flaques de terre…

Qu’importe le jour que nous sommes, l’heure qu’il est, ce qu’il va se passer après. Tout est présent dans cet instant. L’Homme au milieu de la nature victorieuse, la découverte, les sensations de tous nos sens en éveil. Rien n’existe que ce qui est réel et présent.

Puis vient le moment d’abandonner nos inconfortables compagnons de voyage, et d’emprunter ce pont au milieu de ces arbres aux immenses racines… Ce pont… Le guide nous conseille de bien tenir la « rampe ». J’essaie de me concentrer sur les arbres autour du moi plutôt que sur l’architecture de ce pont. Je ne suis pas experte en géométrie, pourtant cela me semble impossible que ce pont tienne le coup. Les bois est fragilisé par la pluie, les clous sont rouillés depuis bien longtemps déjà. Pourtant j’arrive sans encombre jusqu’à ces deux manguiers qui se sont rassemblés, naturellement, par une branche en leur milieu. Deux arbres complètement différents se sont assemblés l’espace d’une branche.

Je suis là, sur un pont branlant, à me dire que je pourrais aisément tenir le premier rôle du prochain Indiana Jones, la peau dégoulinante de cette moiteur qui m’entoure, et je regarde, hébétée ces ceux arbres, qui ayant poussé l’un à côté de l’autre se sont rassemblés pour ne faire qu’un grâce à une branche. Bien sûr, il y a cette légende, cette histoire d’amour qui expliquerait comment deux arbres se seraient rejoint pour ne faire qu’un. Parce que tout n’est toujours question que d’amour n’est ce pas. Une histoire, une légende, sans âge, sans trace, qui se transmet seulement par la tradition orale. Une histoire que l’on raconte dans la pénombre des cabanes, des maisons, le soir, quand le soleil a fait place à la lune et qu’il est temps de dormir, de rêver.

Encore habité par cette image, l’aventurier arrivera alors sur une plage abandonnée. Tout d’un coup l’horizon s’ouvre. Le sable est blanc, les arbres semblent posés sur le sol comme par enchantement. L’eau n’est pas turquoise mais marron et nous rappelle qu’ici tout est sauvage.

L’eau. Il va maintenant falloir s’y aventurer pour retourner à la fazenda. Le guide arrive de nulle part avec une grande pirogue jaune, le bois est vieilli et ne dénote en rien de l’environnement. A bord de la pirogue, il n’y a que le bruit de la rame qui vient troubler le silence. Silence tout à fait relatif, car si l’on est attentif on perçoit tous les indices de la vie qui grouille de par delà les arbres. Des singes bien sur, des serpents sans doute, des oiseaux par centaines… et pourquoi les personnages de ces légendes qui font se rejoindre les arbres.

Je n’avais aucune idée de l’heure qu’il était mais déjà la lumière était moins forte, il fallait alors rentrer à la fazenda San Jeronimo, traverser de nouveau la forêt et affronter le chant du singe hurleur.

La pluie menaçait toujours. Mais il me semble que je n’aurais pas autant apprécié ce voyage sous le soleil. La pluie rendant l’île moins évidente à aimer. Et pourtant mille fois plus belle.

Le lendemain matin, les nuages avaient disparus. Soufflés pendant la nuit. Le soleil était éclatant, à en rendre le ciel presque blanc.

Avant de reprendre la bateau pour Belém. Le temps est passé vite. Pourtant sur l’île il semblait s’être arrêté.

Ces deux jours me donnent un sentiment d’inachevé. Quelqu’un me cita alors Camus, qui dit à propos de Cordes-sur-ciel :  » On voyage pendant des années sans trop savoir ce que l’on cherche, on erre dans le bruit, empêtré de désirs ou de repentirs et l’on parvient soudain dans l’un de ces deux ou trois lieux qui attendent chacun de nous en ce monde. Le voyageur qui, de la terrasse de Cordes, regarde la nuit d’été sait ainsi qu’il n’a pas besoin d’aller plus loin et que, s’il veut, la beauté ici, jour après jour, l’enlèvera à toute solitude.  « 

C’est à peu près ce que je ressentais pour Marajo.


Les marchés du bout du monde

Il existe des lieux, que j’aime plus que d’autres, pour ce qu’ils expriment, pour ce qu’ils sont… Je ne les aime pas forcément dans leur individualité mais parce qu’ils sont … quelque chose.

Ainsi j’aime les gares, les aires d’autoroutes, les cloitres, et les marchés.

Les marchés sont les odeurs, les couleurs, les goûts de la ville, du pays où nous sommes. Les marchés, s’ils sont couverts ou non, racontent le temps qu’il fait souvent, ils nous montrent toute sa population, celle qui vend et celle qui achète, ils nous donnent un avant-goût de ce que l’on pourrait découvrir aux tables des restaurants, des locaux…

Dans chaque pays, chaque ville que je visite j’aime commencer par les marchés, avant même les lieux touristiques « à faire absolument » répertoriés dans les guides. Dans les allées des marchés, j’ai l’impression de côtoyer ce qu’est vraiment ce pays, je suis dans son ventre.

Le Ver-o-peso, direction l’Amazonie : Bélèm. Il est encore tôt mais la chaleur est déjà bien présente. Impossible d’y échapper, ici, elle enveloppe, elle étouffe. Elle brûle le visage, la gorge… et fait remonter toutes les odeurs. Ici tout est plus fort. Le parfum des fruits sucrés découpés, le bruit des petites machettes qui brisent les coques des noix de cajou, les rire des femmes qui déplument des poulets rachitiques.

Ici, on peut trouver de tout, des objets d’artisanat local, tous les fruits aux noms exotiques qu’il est possible d’imaginer. Ils ont toutes les formes, toutes les couleurs, on peut tous les gouter sous les regards amusés des Brésiliens qui attendent de voir la réaction de la touriste que je suis au contact de tel ou tel goût, ou texture.

Jusqu’ici tout est presque banal. Rien qui ne contraste avec les marchés dans lesquels j’ai déjà pu m’aventurer.

Mais, petit à petit, je ne sais pas trop à quoi cela tient, peut-être à la lumière qui se fait plus chaude en ne filtrant plus par la tôle grise mais par les palmes séchées qui forment des sortes de petites cases, ou dans les rayons du soleil se reflétant dans les fioles remplies de liquide de milles couleurs autour de ces petites cabanes. Je m’approche, curieuse, pour découvrir que dans ces fioles ce ne sont que des potions. Des remèdes contre les piqûres d’insectes, contre les peines de coeur, des potions qui apportent chance et prospérité, et d’autres qui font se mordre la langue à ceux qui médisent sur vous.

J’ai rencontré une de ces femmes qui invoquent des déesses inconnues et mélangent les plantes pour nous soigner. A ce moment, j’oublie le marché, et tout le reste. Je suis face à cette femme au regard espiègle à son accent portugais chantant, au ton chaud de sa voix qui raconte les légendes, qui expliquent les pouvoirs magiques de la Terre et que l’on vient du monde entier acheter ses potions. Car, comment ne pas y croire?

Comme envoûtée je continue mon chemin quand la lumière, plus forte, plus blanche, vient me sortir de mes rêveries. Je ne suis plus protégée par les palmes et ou la tôle. Le soleil est là, déjà si haut, brûlant, implacable. Face à moi, une halle en dur, la halle aux poissons, le point d’orgue de ce marché, là où réside toute son âme. A l’intérieur, le carrelage immaculé est tâché par endroits du sang frais des poissons immenses, aux couleurs merveilleuses. L’espace est compartimenté en petits box. Dans chacun d’eux, les pêcheurs de l’Amazone présentent, préparent, découpent, leurs prises du jour. Les écailles semblent luire de paillettes, les yeux vitreux portent la dernière complainte. C’est enchanteur, vivant, puissant… Je suis sans aucun doute au coeur de quelque chose. Entourée de ces poissons conservés sans aucun morceau de glace à l’horizon, baignée par une température avoisinant les trente degrès dans la halle, les odeurs, les regards des hommes grands couteaux aiguisés à la main…

Ce midi là, en ressortant, longeant le fleuve aux eaux troubles en plein soleil, je suis allée m’asseoir sur un petit tabouret de plastique jaune. Ici, j’ai arrosé un poisson frit de jus d’açai, et malgré la propreté douteuse, la chaleur, les chiens errants, ce fut le meilleur poisson que j’ai mangé de toute ma vie.

Nyaung U Market, un havre de paix : Bagan. A Bagan, tout est de la couleur de la terre, cette terre ocre. Les chemins, les temples… les températures du mois de janvier ne font que renforcer cette impression de chaleur.

Partout le bruit des scooters, des touristes, des tuktuk, des bus qui arrivent sur la place principale… Et puis sur cette même place, derrière un grand portail, le marché de Nyaung U. Dans la cour quelques chauffeurs de tuktuk attendent en fumant ou chiquant. Ce qui me frappe quand je m’apprête à passer dans l’ombre du toit de tôle du marché, c’est cette impression de pénétrer dans une oasis. Comme si la chaleur retombait tout à coup, que le soleil n’était pas le bienvenu ici, où partout on voit des fleurs, des légumes, des fruits… ce vert, tout ce vert. J’ai ai frissonné je me souviens, tant cela contrastait avec la réalité quelques pas en arrière sur cette place de terre rouge.

Ici, quasiment que des femmes, leurs stands se mélangent presque tant elles sont proches. Elles portent ces tenues si colorés et ces sourires doux. Tout ici est apaisant, comme si le temps, celui qui passe, celui qu’il fait, ne pouvait détruire ce qui avait été crée ici.

Dépassés les stands de fruits et légumes, on arrive à ceux de poissons, des poulets, morts, vivants, bientôt décapités et déplumés. Ici, comme au Brésil, rien de ce que l’on considèrerait comme des règles d’hygiène élémentaire n’existe. Et c’est tant mieux. Nous sommes ici dans un autre monde avec d’autres règles. Les femmes fument le cigare, assise en tailleur derrière leurs marchandises…

En s’enfonçant, un peu au hasard, on trouve les ateliers de quelques fabricants de marionnettes, des sculpteur de bois, des femmes qui veillent sur leurs stocks de tanaka (cette pâte blanche avec laquelle se maquille les Birmanes). On découvre ici toutes les subtilités de l’artisanat birman. J’ai le sentiment d’un voyage dans le temps au détour des légendes expliquées dans un anglais approximatif par les quelques qui le parle. Tout n’est que symboles, croyances..

Et tout à coup, le soleil a nouveau. Dans une cour délimitée par des murs, avec quelques arbres qui les protègent du soleil, des femmes sont assises à même le sol. On se croirait dans un jardin. D’ailleurs, aussi étrange que cela puisse paraître si on me demandait aujourd’hui si je me souviens de ce que vendait ces femmes je répondrais, des branches.

Les Landes, souvenirs de vacances.  Et parfois il n’y pas besoin d’aller si loin pour avoir l’impression de plonger dans un petit monde parallèle.

Depuis petite, je vais en vacances dans les Landes, dans le Sud-ouest de la France. Une petite ville coincée entre la forêt de pins et l’océan. Ces odeurs de pins, d’écume sont toujours pour moi l’odeur de la liberté, de l’enfance, du réconfort.

J’ai toujours l’impression que cette région, ce village, est un peu chez moi, alors que je n’y ai vécu que quelques semaines de mes étés.

Le marché avait un rôle particulier. Il est un des personnages principaux de ces vacances. Il fallait prendre le vélo pour s’y rendre. Déjà, le rituel commençait. Dehors, sur les parkings s’alignaient les étals de ceux qui le temps de l’été vendaient des souvenirs en tous genres, des maillots de bains, des paniers colorés…

Mais sous la halle à l’architecture typique du Sud-Ouest, là tous les sens étaient en éveil. L’odorat d’abord, toutes les odeurs de ces plats réconfortant de l’été, toutes les odeurs du plaisir. Et puis les couleurs, chaudes, celles des tomates bien mûres, des abricots, des pastèques et des melons. Et puis l’imagination prenait le relais. Imaginer les repas d’aujourd’hui, pris tous ensemble en famille, avant d’aller affronter l’océan, l’éventualité des barbecue, des vins dégustés avant que le soleil ne se couche en dégustant la charcuterie, les fromages locaux, quand on a encore la peau qui sent le sable et les cheveux le sel.

C’était tout cela qui se passait dans les « bonjour » tonitruant, chaleureux avec cet accent chantant des locaux, dans les « je vous fais goûter et vous me dites ce que vous préférez », ou encore les « je vous en mets pour combien? Dix? Allez c’est parti! Dis donc vous être beaucoup! »
Oui, nous étions nombreux, gourmands, heureux…

C’est cela les marchés, des petits mondes qui parlent à nos sens, nous ramènent au ventre, à l’essentiel.


Comporta et les paradis rêvés

Il existe des endroits qui semblent être là, à nous attendre. Ils nous accueillent et nous laissent éclore en eux. Ils nous révèlent, nous rappellent nos aspirations, nos rêves. Simplement parce qu’ils nous enveloppent de leur évidence. De leur beauté.

Tout commence à Lisbonne. Commencez par vous laissez glisser sur les pavés polis par des millions de pas avant les vôtres, levez la tête et étourdissez-vous des couleurs des façades, des messages, des dessins sur les murs. Regardez trop longtemps le ciel trop bleu à vous en faire des tâches devant les yeux. Buvez des bières au soleil, mangez des poissons grillés, perdez vous dans les petites rues bruyantes et festives quand la nuit est tombée.

Quand alors vous vous dites que la vie est belle et douce aux couleurs lisboètes, enfuyez-vous.

Prenez un des deux ponts majestueux qui traversent le Tage et perdez-vous. Perdez-vous bien plus loin que Sétubal, la première grande ville au bord de l’estuaire. Perdez-vous après les rizières d’Alcacer do Sal. Prenez la seule route au milieu des pins et ouvrez la fenêtre.

Soyez attentifs au silence tout autour, rappelez-vous vos souvenirs d’enfance aux parfums des eucalyptus, des chênes lièges, des pins…

Prenez cette route, et quand vous en aurez envie, aux croisements prenez sur la droite, vous trouverez l’océan. Vous trouverez de longues plages de sable blanc, l’océan y est ici bien moins agité qu’ailleurs et prend souvent des teintes turquoises qui nous font rêver d’îles lointaines.

Voilà, vous êtes sûrement sur la plage de Comporta, la plus connue, la plus chic, ou sur celle de Carvalhal au charme insoupçonnée, à moins que vous soyez descendu encore plus au sud vers les plages de Melides. Qu’importe.

Toutes ces plages, tous ces pins, toutes ces rizières et leurs cigognes qui veillent, racontent la même histoire.

Assise sur les planches de bois branlantes d’un petit port de pêche, au coucher de soleil je respire plus lentement. Je respire au rythme des minuscules mouvements de l’eau qui lèche les pieds de bois du ponton. Le soleil qui se couche est éclatant de lumière. Il brûle tout de blanc.

Allongée sur le sable un peu épais et rosé de Carvalhal, les cheveux emmêlés par l’air bien trop salé, je m’imagine rester ici sans aucun impératif pour le lendemain.

Traversant les rizières de ce vert si lumineux qui me rappellent l’Asie, observant les cigognes toujours par deux dans leurs nids je me demande ce que cela serait de me lever tous les matins, les pieds nus dans le sable, ou sur les épines de pins sans aucun bruit alentour.

Dans mon pull rose qui gratte un peu, assise en tailleur dans mon transat, les yeux vers la voie lactée si lumineuse, là à peine 22h au milieu de cette forêt de pins droits et fiers, je me rappelle mes rêves.

Ces plages, ces villages, les portugais dans leur simplicité, me rappellent à une question : qu’elle est la vie que je veux? Qu’importe les impératifs, ici il n’y a aucun pendant ces quelques jours de voyage.

Alors oui, rappelons-nous. Profitons de ces instants pour se demander où nous en sommes de nos rêves, pour nous réajuster sur nos priorités. Parce qu’ici tout est possible, tout est apaisé, tout est simple. Il y a la terre, le ciel et l’océan. Et au milieu, quelques hommes et femmes qui vivent dans un sourire doux, des touristes qui cherchent des maisons pour abriter leurs rêves ici, leurs offrir une demeure à quelques heures de leur vraie vie, et moi toujours fascinée par ce que le Portugal offre dans sa simplicité.

Quelques jours après le retour je me suis posée cette question : y a-t-il des gens malheureux à Comporta et ses alentours?

Il y a ces petites maisons blanches et bleues et leurs bougainvilliers fuchsia, il y a les anciens cabanons de pêcheurs en chaume de riz, il y a les rizières à la lumière changeante et magique, il y a l’ocean aux teintes turquoises insoupçonnées, les coquillages roses qui remplacent les trésors des pirates, il y a les pins et leurs odeurs enivrantes et les chênes lièges et leurs couleurs si fascinantes.

Il y a le sourire de ce vieux serveur attentionné qui traduit tout, ces femmes sans âge dans leur tablier à carreaux bleus et roses qui racontent des histoires sans fins devant leurs maisons, là dans les semblants de rues.

Il y a les nuits noires dans le silence absolu et les réveils avec le soleil. Les yeux levés vers les étoiles tous les soirs enlacés. Il y a les cheveux salés et les grains de sable collés aux mollets. Il y a les bières partagées au coucher du soleil et les petits-déjeuners pris dans des cafés au carrelage turquoise aux motifs de dauphins.

Est-ce qu’ici, enfin là-bas, on a d’autres problèmes que les nôtres? Est-ce naif de croire qu’au plus près de la nature, dans la simplicité et au coeur de la beauté, la vie est plus facile? Ou du moins qu’il est plus facile de sa rappeler qu’elle peut l’être? Qu’il nous suffit juste de nous rappeler à l’essentiel de ce que nous sommes et de ce à quoi nous rêvons… Et n’est-il pas plus facile de le faire dans le silence et la magie de lieux aux temps suspendus?


Se perdre dans le marché de Chichicastenango, au Guatemala

J’aime les marchés. J’aime découvrir les étals aux couleurs chatoyantes, les mets inhabituels, les odeurs fortes. J’aime me perdre dans le labyrinthe bruyant où déambulent les marchands, les enfants collés dans les jupes des mères de famille, les chiens errants en quête du festin du jour…

Frôler une autre réalité extraordinaire à mes yeux, me mêler à cette foule de gens pour qui cela est tellement ordinaire.

 

Chichicastenango est un village des Hautes Terres du Guatemala. Pour le rejoindre, il ne faut pas avoir peur d’emprunter les routes sinueuses qui se perdent dans les brumes d’altitude assis dans les « chicken bus » locaux. Il y a toujours ce que l’on lit dans les guides, les images que l’on a déjà vues quand on prépare un voyage. Mais jamais rien ne témoigne de la réalité de ce qui se vit.

En lisant les guides vous saurez que les jours de marché sont les jeudi et les dimanche, qu’il est facile de se sentir pris au piège dans le dédale immense du marché, qu’il est surtout fréquenté par les guatémaltèques, même si de plus en plus de touristes y viennent, vous lirez qu’il vaut mieux se montrer prudent avec vos objets de valeurs, vous apprendrez qu’au milieu de ce marché trône une église blanche construite sur les marches d’un ancien temple maya. Si vous poussez votre curiosité, vous saurez que sur les marches de cette église des femmes vendent des fleurs, que de l’encens et des bougies brûlent, que des prêtres mayas tout de noir vêtus cohabitent avec le curé catholique en toge blanche.

 

Voilà, vous savez ce que vous trouverez à Chichicastenango. Laissez-moi alors,  vous raconter cette plongée au milieu de la foule, et de la culture maya.

 

En descendant du bus ce dimanche matin tout gris, rien dans le paysage ne laisse imaginer un marché tentaculaire, ni une église. Tout le monde semble pourtant se diriger vers un seul endroit par une étrnage attraction. Un passant me le confirme, je n’ai qu’à me mêler au flot de personnes pour trouver ma destination : « el mercado, the market ».

Et là, en un instant, je suis dans le marché. Il aura suffi de tourner deux fois au hasards des allées pour être perdue.

Les étals tous colorés regorgent de fruits, de bijoux de perles, de masques en bois peints, de tissus traditionnels sublimes et chamarrés. Au milieu de la foule venue faire ses achats, des hommes qui vendent des crevettes dans des paniers en osier immenses, des femmes qui déambulent, agiles et imperturbables sous le poids des fleurs portées sur leurs têtes. Des enfants partout quémandent quelques quetzals aux peu nombreux touristes contre des bracelets de perles ou des « magnets » pour leur réfrigérateur là-bas, dans leur pays.

Au fil des déambulations, de la négociation du prix des ponchos, des bagues en jade, des avocats, des tissus brodés, on oublie le temps. Le temps qui passe, le temps qu’il fait.

On perd la notion d’espace en se demandant si nous sommes déjà passés par là avant de déboucher, à la fin d’un allée, au pied des marches de l’église, encore une fois par pur hasard ou par la force de l’attraction.

En une seconde, l’ambiance change. J’ai eu le sentiment de vivre quelque chose d’exceptionnel, d’incomparable. L’église, blanche, d’une droite simplicité se détachait à peine du ciel gris clair ce matin-là. Sur les marches mayas, des femmes, des hommes, des enfants, de tous âges et vêtus de mille couleurs vendaient, achetaient des fleurs, épatalaient les roses, coupaient les tiges, formaient des bouquets. Il y avait une certaine agitation qui laissait présager que ce n’était pas tout. Dans l’air flottait un parfum entêtant de copal, l’encens local. Un homme faisait tournoyer  une vielle boîte de conserve qui contenait  les braises et veillait à ce qu’elles ne  s’éteignent jamais et que toujours cette fumée blanche et épaisse envahisse l’air et pique les yeux des touristes.

L’ascension des marches se fait au milieu des fleurs et nous élèvent au-dessus des étals et de la foule. On ne distingue alors même pas le sol… Tout est compact, lié. A l’entrée de l’église, au sol, des pétales et des bougies ne font que décupler la poésie du lieu. Dans la pénombre du lieu saint, au fond de la nef le prêtre en toge blanche officie devant une petite assemblée de fidèles. Mais devant eux, une foule bruyante prie à voix haute devant les saints habillés de couleurs vives, de foulards, de chapeaux… Ici le mélange entre cultes catholiques et mayas se voit, se vit. Dans l’allée centrale, les prêtres mayas, en tenue traditionnelle pantacourt noir et chemise noire  brodée de rouge, s’agenouillent devant l’autel et s’apprêtent à sortir de l’église pour arpenter les allées du marché. Mais ils ne sortent pas seuls.

Les fidèles portent sur leurs épaules les figures des saints, dehors sur les marches on tire des pétards assourdissants pour accompagner cette procession extraordinaire d’extravagance et de solennité qui va se perdre comme chaque dimanche dans les allées bondées du marché de Chichicastenango. Sur le passage, les prêtres bénissent, embaument l’air de copal, les fidèles font la quête, les gens autour ont l’air de trouver cela normal, ces saint habillés de façon si étrange qui semblent flotter au-dessus de la foule dans ces nuages d’encens. Et toujours ces énormes pétards qui ne font sursauter que les étrangers…

 

Près de l’église, les étals changent quelque peu, sous une halle, les stands regorgent de bougies colorées et de toutes les formes, on peut aussi acheter des encens, et des offrandes. Et tout près l’odeur des tortillas, ces petites galettes de maïs cuisinées absolument partout au Guatemala. Des cuisines de fortunes sont installées au milieu des étals de nourriture, des poulets encore vivant, des carottes anormalement grandes, des haricots qui cuisent dans de vieilles marmites…Là encore plus qu’ailleurs on se frôlent, on se collent notre visage si près des cheveux, des cous, des autres visages et on joue des coudes pour avancer, pour sortir. Sortir de la foule, et avancer au hasard.

Et de nouveau des bouts de ciel au-dessus de nous et des dizaines de mètres où sont suspendus des jupes traditionnelles, des ponchos, des couvertures…

Comme par magie, parce qu’il est temps de le quitter, le marché semble s’ouvrir et il est alors facile de se souvenir les chemins empruntés pour en sortir.

 

Au Guatemala tout est propice à se perdre. On voyage dans le temps, on le laisse se passer ce temps, simplement à regarder le paysage, à sentir tous les éléments, le poids de l’histoire, de la culture maya nous écraser.


Guatemala : la force du lac Atitlan

 

Les pieds nus sur le plancher de bois et devant moi, les arbres aux fleurs colorées, les eaux du lac Atitlan et les volcans. Le vent fait trembler les branches, fait se raidir mon corps d’un frisson.

Et là, devant moi se tiennent les 4 éléments : l’air, l’eau, la terre et le feu. Et je ne suis rien. Rien qu’un témoin de la Nature. De la nature grandiose et de sa beauté, de sa perfection en toute chose, dans l’équilibre de tout ce qui est.

A Rio, à Bagan, au milieu des 4000 îles, au cœur du parc de Joshua Tree, sur les plages de la côte landaise, ou dans une rivière du sud-ouest de la France, le corps plongé dans le Blue Lagoon en Islande, le regard levé vers les cimes des arbres de forêts du Limousin… souvent j’ai ressenti ma petitesse au sein du monde, mais surtout à quel point j’en faisais partie. Que tout se répondait. Que chaque chose était essentielle à la survie de l’autre. Aujourd’hui alors que la question de l’environnement est quotidienne en France, et que les débats sont nombreux, dans les médias ou en privé, il me vient toujours la même réponse. J’ai le sentiment que si nous en sommes là c’est par défaut de modestie. L’homme alors au-dessus de tout aurait oublié son lien à la Terre, aux autres, aurait renié les croyances qui l’attachaient aux dieux et aux forces de la Nature.

 

Ici impossible de s’y soustraire. La course du soleil révèle des lumières changeantes à chaque instant, tout autour du lac, les ombres se meuvent d’une rive à l’autre, les volcans endormis nous parlent d’une force lointaine, les forêts et les fleurs racontent la fertilité de cette terre, les ondes du lac suivent des rythmes qui leur sont propres et qui évoluent au fil des heures. Les hommes parlent un dialecte venu d’ailleurs, de si loin, et les femmes dans leurs tenues traditionnelles nous évoquent ces mêmes temps passés. Un temps qui semble avoir échappé à la mondialisation.

 

Ici, au bout de chaque ponton, un nouveau monde.

Santa Cruz, Jaibalito, San Juan, San Marcos, San Pedro, Santiago, Santa Catarina… tous les villages autour du lac ont leurs particularités. Ils sont tous singuliers : leur langue, leur artisanat, leur place face au soleil et aux volcans.

 

Jaibalito, minuscule village après la touristique et tout en hauteur Santa Cruz, a le charme fou du visage des enfants souriants qui courent dans les rues, et recèle d’un calme rare dans les hauteurs.

San Marcos paradis hippie qui semble inébranlable face aux aléas du monde et qui guérit les âmes au son de musiques qui font vibrer le ventre et les nourrit de produits locaux et végétariens.

San Juan est le havre des artisanats : la teinture, le tissage, la culture du café, du chocolat, des remèdes conçues par les femmes grâce aux plantes de leurs jardins…

Santiago, village maya dont le nom en tz’utujil (dialecte maya parlé dans cette région du lac) signifie « maison des oiseaux », raconte bien des histoires. Celle de la guerre civile bien sûr, de la séparation entre religions maya et catholique, celle de la vie avant l’invasion espagnole, de la pièce de vingt-cinq centimes et celle de Maximom, un saint local un peu particulier.

Panajachel, est la première ville du lac. Celle par laquelle on arrive du reste du pays, celle par laquelle on quitte le cocon du lac. Celle qui en douceur nous fait glisser d’un monde à l’autre.

 

Et c’est ainis que naît le jour.

De derrière les volcans, la lumière,

Jaune, orange, rose, colore les nuages

Et le flanc des monts endormis.

Les eaux du lac bleues d’acier se teintent de rose.

Et ainsi sur les flots immobiles,

Une ligne,

Une fracture se crée entre les ténèbres et la lumière.

A chaque minute, les couleurs changent.

Et tout l’univers se transforme,

Dans les forces du vent qui font se mouvoir les choses,

Dans la course des nuages qui se prennent dans les volcans…

Et pourtant, dans les villages peuplés du bord du lac Atitlan, le temps semble s’être arrêté.

Et c’est ainsi que naît le jour.

Dans la nuit, le vent bruyant avait balayé les nuages, et alors,

Dans les premières lueurs du soleil encore dissimulé,

S’étendait un monde nouveau.

Tout avait une couleur d’or.

Le flanc des volcans, le ciel et les ondes du lac.

Tout était enveloppé d’or.

D’une chaleur qui donne envie de se mouvoir lentement dans le monde pour ne pas le brusquer.

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