Se perdre à Chichicastenango

J’aime les marchés. J’aime découvrir les étals aux couleurs chatoyantes, les mets inhabituels, les odeurs fortes. J’aime me perdre dans le labyrinthe bruyant où déambulent les marchands, les enfants collés dans les jupes des mères de famille, les chiens errants en quête du festin du jour…

Frôler une autre réalité extraordinaire à mes yeux, me mêler à cette foule de gens pour qui cela est tellement ordinaire.

Chichicastenango est un village des Hautes Terres du Guatemala. Pour le rejoindre, il ne faut pas avoir peur d’emprunter les routes sinueuses qui se perdent dans les brumes d’altitude assis dans les « chicken bus » locaux. Il y a toujours ce que l’on lit dans les guides, les images que l’on a déjà vues quand on prépare un voyage. Mais jamais rien ne témoigne de la réalité de ce qui se vit.

En lisant les guides vous saurez que les jours de marché sont les jeudi et les dimanche, qu’il est facile de se sentir pris au piège dans le dédale immense du marché, qu’il est surtout fréquenté par les guatémaltèques, même si de plus en plus de touristes y viennent, vous lirez qu’il vaut mieux se montrer prudent avec vos objets de valeurs, vous apprendrez qu’au milieu de ce marché trône une église blanche construite sur les marches d’un ancien temple maya. Si vous poussez votre curiosité, vous saurez que sur les marches de cette église des femmes vendent des fleurs, que de l’encens et des bougies brûlent, que des prêtres mayas tout de noir vêtus cohabitent avec le curé catholique en toge blanche.

Voilà, vous savez ce que vous trouverez à Chichicastenango. Laissez-moi alors,  vous raconter cette plongée au milieu de la foule, et de la culture maya.

En descendant du bus ce dimanche matin tout gris, rien dans le paysage ne laisse imaginer un marché tentaculaire, ni une église. Tout le monde semble pourtant se diriger vers un seul endroit par une étrnage attraction. Un passant me le confirme, je n’ai qu’à me mêler au flot de personnes pour trouver ma destination : « el mercado, the market ».

Et là, en un instant, je suis dans le marché. Il aura suffi de tourner deux fois au hasards des allées pour être perdue.

Les étals tous colorés regorgent de fruits, de bijoux de perles, de masques en bois peints, de tissus traditionnels sublimes et chamarrés. Au milieu de la foule venue faire ses achats, des hommes qui vendent des crevettes dans des paniers en osier immenses, des femmes qui déambulent, agiles et imperturbables sous le poids des fleurs portées sur leurs têtes. Des enfants partout quémandent quelques quetzals aux peu nombreux touristes contre des bracelets de perles ou des « magnets » pour leur réfrigérateur là-bas, dans leur pays.

Au fil des déambulations, de la négociation du prix des ponchos, des bagues en jade, des avocats, des tissus brodés, on oublie le temps. Le temps qui passe, le temps qu’il fait.

On perd la notion d’espace en se demandant si nous sommes déjà passés par là avant de déboucher, à la fin d’un allée, au pied des marches de l’église, encore une fois par pur hasard ou par la force de l’attraction.

En une seconde, l’ambiance change. J’ai eu le sentiment de vivre quelque chose d’exceptionnel, d’incomparable. L’église, blanche, d’une droite simplicité se détachait à peine du ciel gris clair ce matin-là. Sur les marches mayas, des femmes, des hommes, des enfants, de tous âges et vêtus de mille couleurs vendaient, achetaient des fleurs, épatalaient les roses, coupaient les tiges, formaient des bouquets. Il y avait une certaine agitation qui laissait présager que ce n’était pas tout. Dans l’air flottait un parfum entêtant de copal, l’encens local. Un homme faisait tournoyer  une vielle boîte de conserve qui contenait  les braises et veillait à ce qu’elles ne  s’éteignent jamais et que toujours cette fumée blanche et épaisse envahisse l’air et pique les yeux des touristes.

L’ascension des marches se fait au milieu des fleurs et nous élèvent au-dessus des étals et de la foule. On ne distingue alors même pas le sol… Tout est compact, lié. A l’entrée de l’église, au sol, des pétales et des bougies ne font que décupler la poésie du lieu. Dans la pénombre du lieu saint, au fond de la nef le prêtre en toge blanche officie devant une petite assemblée de fidèles. Mais devant eux, une foule bruyante prie à voix haute devant les saints habillés de couleurs vives, de foulards, de chapeaux… Ici le mélange entre cultes catholiques et mayas se voit, se vit. Dans l’allée centrale, les prêtres mayas, en tenue traditionnelle pantacourt noir et chemise noire  brodée de rouge, s’agenouillent devant l’autel et s’apprêtent à sortir de l’église pour arpenter les allées du marché. Mais ils ne sortent pas seuls.

Les fidèles portent sur leurs épaules les figures des saints, dehors sur les marches on tire des pétards assourdissants pour accompagner cette procession extraordinaire d’extravagance et de solennité qui va se perdre comme chaque dimanche dans les allées bondées du marché de Chichicastenango. Sur le passage, les prêtres bénissent, embaument l’air de copal, les fidèles font la quête, les gens autour ont l’air de trouver cela normal, ces saint habillés de façon si étrange qui semblent flotter au-dessus de la foule dans ces nuages d’encens. Et toujours ces énormes pétards qui ne font sursauter que les étrangers…

Près de l’église, les étals changent quelque peu, sous une halle, les stands regorgent de bougies colorées et de toutes les formes, on peut aussi acheter des encens, et des offrandes. Et tout près l’odeur des tortillas, ces petites galettes de maïs cuisinées absolument partout au Guatemala. Des cuisines de fortunes sont installées au milieu des étals de nourriture, des poulets encore vivant, des carottes anormalement grandes, des haricots qui cuisent dans de vieilles marmites…Là encore plus qu’ailleurs on se frôlent, on se collent notre visage si près des cheveux, des cous, des autres visages et on joue des coudes pour avancer, pour sortir. Sortir de la foule, et avancer au hasard.

Et de nouveau des bouts de ciel au-dessus de nous et des dizaines de mètres où sont suspendus des jupes traditionnelles, des ponchos, des couvertures…

Comme par magie, parce qu’il est temps de le quitter, le marché semble s’ouvrir et il est alors facile de se souvenir les chemins empruntés pour en sortir.

Au Guatemala tout est propice à se perdre. On voyage dans le temps, on le laisse se passer ce temps, simplement à regarder le paysage, à sentir tous les éléments, le poids de l’histoire, de la culture maya nous écraser.

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