Les marchés du monde

Il existe des lieux, que j’aime plus que d’autres, pour ce qu’ils expriment, pour ce qu’ils sont… Je ne les aime pas forcément dans leur individualité mais parce qu’ils sont … quelque chose.

Ainsi j’aime les gares, les aires d’autoroutes, les cloitres, et les marchés.

Les marchés sont les odeurs, les couleurs, les goûts de la ville, du pays où nous sommes. Les marchés, s’ils sont couverts ou non, racontent le temps qu’il fait souvent, ils nous montrent toute sa population, celle qui vend et celle qui achète, ils nous donnent un avant-goût de ce que l’on pourrait découvrir aux tables des restaurants, des locaux…

Dans chaque pays, chaque ville que je visite j’aime commencer par les marchés, avant même les lieux touristiques « à faire absolument » répertoriés dans les guides. Dans les allées des marchés, j’ai l’impression de côtoyer ce qu’est vraiment ce pays, je suis dans son ventre.

Le Ver-o-peso, direction l’Amazonie: Bélèm. Il est encore tôt mais la chaleur est déjà bien présente. Impossible d’y échapper, ici, elle enveloppe, elle étouffe. Elle brûle le visage, la gorge… et fait remonter toutes les odeurs. Ici tout est plus fort. Le parfum des fruits sucrés découpés, le bruit des petites machettes qui brisent les coques des noix de cajou, les rire des femmes qui déplument des poulets rachitiques.

Ici, on peut trouver de tout, des objets d’artisanat local, tous les fruits aux noms exotiques qu’il est possible d’imaginer. Ils ont toutes les formes, toutes les couleurs, on peut tous les gouter sous les regards amusés des Brésiliens qui attendent de voir la réaction de la touriste que je suis au contact de tel ou tel goût, ou texture.

Jusqu’ici tout est presque banal. Rien qui ne contraste avec les marchés dans lesquels j’ai déjà pu m’aventurer.

Mais, petit à petit, je ne sais pas trop à quoi cela tient, peut-être à la lumière qui se fait plus chaude en ne filtrant plus par la tôle grise mais par les palmes séchées qui forment des sortes de petites cases, ou dans les rayons du soleil se reflétant dans les fioles remplies de liquide de milles couleurs autour de ces petites cabanes. Je m’approche, curieuse, pour découvrir que dans ces fioles ce ne sont que des potions. Des remèdes contre les piqûres d’insectes, contre les peines de coeur, des potions qui apportent chance et prospérité, et d’autres qui font se mordre la langue à ceux qui médisent sur vous.

J’ai rencontré une de ces femmes qui invoquent des déesses inconnues et mélangent les plantes pour nous soigner. A ce moment, j’oublie le marché, et tout le reste. Je suis face à cette femme au regard espiègle à son accent portugais chantant, au ton chaud de sa voix qui raconte les légendes, qui expliquent les pouvoirs magiques de la Terre et que l’on vient du monde entier acheter ses potions. Car, comment ne pas y croire?

Comme envoûtée je continue mon chemin quand la lumière, plus forte, plus blanche, vient me sortir de mes rêveries. Je ne suis plus protégée par les palmes et ou la tôle. Le soleil est là, déjà si haut, brûlant, implacable. Face à moi, une halle en dur, la halle aux poissons, le point d’orgue de ce marché, là où réside toute son âme. A l’intérieur, le carrelage immaculé est tâché par endroits du sang frais des poissons immenses, aux couleurs merveilleuses. L’espace est compartimenté en petits box. Dans chacun d’eux, les pêcheurs de l’Amazone présentent, préparent, découpent, leurs prises du jour. Les écailles semblent luire de paillettes, les yeux vitreux portent la dernière complainte. C’est enchanteur, vivant, puissant… Je suis sans aucun doute au coeur de quelque chose. Entourée de ces poissons conservés sans aucun morceau de glace à l’horizon, baignée par une température avoisinant les trente degrès dans la halle, les odeurs, les regards des hommes grands couteaux aiguisés à la main…

Ce midi là, en ressortant, longeant le fleuve aux eaux troubles en plein soleil, je suis allée m’asseoir sur un petit tabouret de plastique jaune. Ici, j’ai arrosé un poisson frit de jus d’açai, et malgré la propreté douteuse, la chaleur, les chiens errants, ce fut le meilleur poisson que j’ai mangé de toute ma vie.

Nyaung U Market, un havre de paix : Bagan. A Bagan, tout est de la couleur de la terre, cette terre ocre. Les chemins, les temples… les températures du mois de janvier ne font que renforcer cette impression de chaleur.

Partout le bruit des scooters, des touristes, des tuktuk, des bus qui arrivent sur la place principale… Et puis sur cette même place, derrière un grand portail, le marché de Nyaung U. Dans la cour quelques chauffeurs de tuktuk attendent en fumant ou chiquant. Ce qui me frappe quand je m’apprête à passer dans l’ombre du toit de tôle du marché, c’est cette impression de pénétrer dans une oasis. Comme si la chaleur retombait tout à coup, que le soleil n’était pas le bienvenu ici, où partout on voit des fleurs, des légumes, des fruits… ce vert, tout ce vert. J’ai ai frissonné je me souviens, tant cela contrastait avec la réalité quelques pas en arrière sur cette place de terre rouge.

Ici, quasiment que des femmes, leurs stands se mélangent presque tant elles sont proches. Elles portent ces tenues si colorés et ces sourires doux. Tout ici est apaisant, comme si le temps, celui qui passe, celui qu’il fait, ne pouvait détruire ce qui avait été crée ici.

Dépassés les stands de fruits et légumes, on arrive à ceux de poissons, des poulets, morts, vivants, bientôt décapités et déplumés. Ici, comme au Brésil, rien de ce que l’on considèrerait comme des règles d’hygiène élémentaire n’existe. Et c’est tant mieux. Nous sommes ici dans un autre monde avec d’autres règles. Les femmes fument le cigare, assise en tailleur derrière leurs marchandises…

En s’enfonçant, un peu au hasard, on trouve les ateliers de quelques fabricants de marionnettes, des sculpteur de bois, des femmes qui veillent sur leurs stocks de tanaka (cette pâte blanche avec laquelle se maquille les Birmanes). On découvre ici toutes les subtilités de l’artisanat birman. J’ai le sentiment d’un voyage dans le temps au détour des légendes expliquées dans un anglais approximatif par les quelques qui le parle. Tout n’est que symboles, croyances..

Et tout à coup, le soleil a nouveau. Dans une cour délimitée par des murs, avec quelques arbres qui les protègent du soleil, des femmes sont assises à même le sol. On se croirait dans un jardin. D’ailleurs, aussi étrange que cela puisse paraître si on me demandait aujourd’hui si je me souviens de ce que vendait ces femmes je répondrais, des branches.

Les Landes, souvenirs de vacances.  Et parfois il n’y pas besoin d’aller si loin pour avoir l’impression de plonger dans un petit monde parallèle.

Depuis petite, je vais en vacances dans les Landes, dans le Sud-ouest de la France. Une petite ville coincée entre la forêt de pins et l’océan. Ces odeurs de pins, d’écume sont toujours pour moi l’odeur de la liberté, de l’enfance, du réconfort.

J’ai toujours l’impression que cette région, ce village, est un peu chez moi, alors que je n’y ai vécu que quelques semaines de mes étés.

Le marché avait un rôle particulier. Il est un des personnages principaux de ces vacances. Il fallait prendre le vélo pour s’y rendre. Déjà, le rituel commençait. Dehors, sur les parkings s’alignaient les étals de ceux qui le temps de l’été vendaient des souvenirs en tous genres, des maillots de bains, des paniers colorés…

Mais sous la halle à l’architecture typique du Sud-Ouest, là tous les sens étaient en éveil. L’odorat d’abord, toutes les odeurs de ces plats réconfortant de l’été, toutes les odeurs du plaisir. Et puis les couleurs, chaudes, celles des tomates bien mûres, des abricots, des pastèques et des melons. Et puis l’imagination prenait le relais. Imaginer les repas d’aujourd’hui, pris tous ensemble en famille, avant d’aller affronter l’océan, l’éventualité des barbecue, des vins dégustés avant que le soleil ne se couche en dégustant la charcuterie, les fromages locaux, quand on a encore la peau qui sent le sable et les cheveux le sel.

C’était tout cela qui se passait dans les « bonjour » tonitruant, chaleureux avec cet accent chantant des locaux, dans les « je vous fais goûter et vous me dites ce que vous préférez », ou encore les « je vous en mets pour combien? Dix? Allez c’est parti! Dis donc vous être beaucoup! »
Oui, nous étions nombreux, gourmands, heureux…

C’est cela les marchés, des petits mondes qui parlent à nos sens, nous ramènent au ventre, à l’essentiel.

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