Dernière étape du voyage. Après trois semaines passées en Birmanie et au Laos, j’avais l’impression, qu’ici au Cambodge, tout était plus facile.
Mon arrivée à Siem Reap, de nuit, m’est apparu complètement insensée : pour la première fois depuis longtemps, une ville, des routes modernes, des banques, des restaurants, des hôtels, des touristes par centaines… Et ces odeurs de nourriture!
J’étais déjà réconfortée des ces quelques jours plutôt décevant au Laos, où les arnaques et le rapport des locaux aux touristes avaient quelque peu ternis le voyage.
Du Cambodge, je ne connaissais presque rien, des bouts d’Histoire, et puis les temples d’Angkor. On dit que plus on connait quelqu’un moins on l’aime… avec le Cambodge ce fut l’inverse. Chaque jour, chaque heure même passés les rues de Siem Reap, dans les dédales des temples d’Angkor, sur les plages de Koh Rong et Koh Rong Samloem, sous la chaleur étouffante de Phnom Penh, dans l’étrange Sihanoukville, sur les flots du Tonlé Sap jusqu’à Battambang, j’ai aimé un peu plus le Cambodge, et son peuple accueillant, souriant, et d’une gentillesse sans borne…
Je m’y suis sentie bien. Tout était tellement cohérent, équilibré, beau…
Siem Reap, c’était le village de vacances, beaucoup de touristes, Pub Street et Night Market. C’est une grande ville qui sert de repère à ceux qui vont visiter les temples d’Angkor à quelques kilomètres de là… et pourtant on y resterait bien, dans Siem Reap, on y mange bien à toutes heures, dans les rues, on y boit et on y fait la fête entre locaux et touristes de tous genres…
Tout près, il y a Angkor. C’est impossible à deviner, si on ne le sait pas. Le matin, très tôt, alors que le jour n’était pas encore levé, je suis montée dans un tuktuk. Il faisait froid et nuageux, je me doutais que pour la première fois du séjour je me levais pour un lever de soleil que je ne verrai pas…Je me suis pourtant assise au bord de ce lac de nymphéas au pied d’Angkor Wat et j’ai attendu. Petit à petit, je sentais la foule grossir derrière moi, j’entendais toutes les langues…Et puis, la lumière a changé, doucement, les nuages noirs sont devenus gris, d’un gris foncé, menaçant, et bientôt les gouttes de pluie ont dessiné des ronds à la surface du bassin devant moi. Je n’ai pas bougé, j’ai simplement continué d’observer un jour sans soleil se lever.
Je n’ai pas beaucoup de photos des temples d’Angkor, tout d’abord parce qu’avec le nombre de touriste qu’il y a il est très difficile de aire la photo que l’on souhaite et je ne voulais pas me frustrer et perdre du temps à faire des photos… ensuite, parce que même lorsque j’ai sorti mon appareil, je me suis rendu compte qu’aucune photographie que je prenais ne transmettait ce que je ressentais. Aucune ne montrait la grandeur du site, le travail de chaque pierre…
Je me suis sentie si minuscule… Au milieu de ces temples immenses, des frangipaniers hors d’âge à Ta Prohm, des centaines de visages de Bouddha sculptés dans les pierres de Bayon…
Si petite, face à la Foi des hommes, à la dévotion de ces moines, au poids de l’Histoire…
La journée à Angkor a été épuisante, comme si déambuler au milieu de ces temples avait été trop fort.
Ensuite, il y eu Battambang, une ville sans grand intérêt… mais ici, effectivement, c’est le voyage qui a compté et non la destination. Pour la première fois du voyage je n’étais pas en mesure de contrôler quoi que ce soit…et la traversée du Tonlé Sap fut épique, et cela vaudra bien un récit à lui tout seul..
A deux semaines du retour en France, il était temps de se reposer et de trouver un peu de calme sur les plages cambodgiennes sur les îles de Koh Rong et Koh Rong Samloem.
Jamais je n’avais vu de sable aussi blanc, de mer aussi turquoise, de végétation aussi dense, là toute proche… Jamais je n’aurais pu imaginer comment s’organiser la vie sur une île entre touristes et locaux avant d’avoir passer ces dix jours sur ces îles.
Si les paysages étaient d’une splendeur sans pareil, je me suis sentie très vite prise au piège. Dépendante du temps qu’il faisait, des bateaux… j’ai ressenti au plus profond de moi la problématique insulaire. Cette impression d’être une privilégiée dans un endroit protégé où tout le monde ne se risque pas, et l’envie de m’en échapper au risque de finir prisonnière de ce rythme nonchalant, du flot des vagues qui s’écrasent sur les rochers, de ces cambodgiens qui n’ont jamais rêvé plus loin que le bout de cet embarcadère qui les emmènerait vers bien trop de mystères.
Car ici tout est facile pour celui qui s’y plait. Il suffit de vivre. De se lever, de sourire, de se laisser aller à ce qu’apportera ou non la mer…
Et tout à coup : la ville. La capitale, Phnom Penh. Brûlante, bruyante, vivante, où il est impossible de se sentir prise au piège. J’étais en sécurité, de retour sur le continent, même au milieu d’une ville qui me semblait immense et que je ne connaissais pas.
L’architecture me plaisait, la vie dans la rue me happait, la chaleur humide me donnait envie de me prélasser, de me laisser aller à cette vie, loin, loin du quotidien, de la France, je m’imaginais vivre ici, au Cambodge…
Mais même à 10000 kilomètres, pendant plusieurs semaines, rien ne s’arrête. Le monde ne se met pas sur pause pour vous permettre de n’être totalement à ce que vous vivez…
Parfois sur les plages blanches de Koh Rong, là où seulement un bateau de 4 ou 5 touristes égarés se risque tous les deux jours, je me suis sentie pleinement dans l’instant. Mais le reste du temps, on se projette, on compare, on se dit qu’on aimerait bien ramener cet état d’esprit, ce sentiment dans nos bagages pour l’utiliser dans notre vie « de tous les jours ».
Voilà à quoi j’ai songé pendant ces derniers jours dans la capitale où déjà le retour me rattrapait, où la ville me faisait oublier que j’étais si loin de Paris.
Le retour, la vie « de tous les jours », les questions que l’on avait laissé en fermant les bagages et celles qu’on ramène pourtant…
C’est étrange, ce contraste. L’impression de fuir certaines questions en allant si loin, pour en réalité pouvoir les affronter à des milliers de kilomètres, ramener des enseignements, des réponses.
Et il y eut le dernier tuktuk. Celui qui a quitté Phnom Penh où la nuit était déjà tombée. Le Cambodgien qui nous a conduit à l’aéroport était souriant, doux et tellement gentil… ses questions, ses attentions, le selfie avec lui devant le Terminal… Je me suis soudain sentie débordée. par l’émotion, par la conscience que je quittais ce continent sur lequel je n’avais passé que sept semaines et qui pourtant m’avait tant plu, tant apporté. J’éprouvais une immense gratitude. Pour les gens, pour ma famille, pour la vie… Pour tout ce qui me permettait d’avoir fait ce voyage.
Je mesurais la chance que j’avais d’avoir vu toutes ces merveilles, d’avoir fait de si belles rencontres. Je me gratifiais d’avoir eu ce courage de partir.
J’ai promis que je reviendrai au Cambodge.
Quatre mois plus tard, je garde toujours cette envie de repartir, ce souvenir intact et vivace de celui que l’on est, loin de nous, les images et la force de ces sourires, de leur foi, de leur détachement.